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Et Soi Mourra Quand Même...
Quel auteur ne s'est jamais posé cette question, de savoir qui il est, derrière ses mots, et ce qu'il restera de lui?
Et Soi Mourra Quand Même...
Lundi matin, 4h17.
Encore une nuit blanche, encore les heures sombres qui
défilent sans sommeil, le tic-tac de mes pensées martelant
mon pauvre crâne.
Encore une fois je suis là, devant cet écran sur lequel je vois
apparaître un à un les mots que je tisse, toile de verbe,
parcourue de non-sens et teintée de cynisme.
Désabusée je suis, et j'aimerai laisser le pouvoir du langage
s'exprimer pleinement, alchimie des pensées et des lettres qui
s'accommodent les unes aux autres, dans un abîme profond
aux parois capitonnées de velours dans lequel se vautrer, là, à les
regarder seulement s'accorder , se mélanger.
Lire des mots en osmose, percer leur sens pour les ressentir
pleinement, vague presque érotique s'insinuant en nous.
Mais mon esprit bouillonne et bafouille des idées inachevées,
des sensations vite envolées, comme si chaque pensée chassait
l'autre avant qu'elle ait pu réellement exister.
Arrachées à ma tête comme d'une main invisible, jetées là
vulgairement comme on couche une putain sur un drap sale
pour être consommées et si vite oubliées que les charmes
qu'elle vend.
Basse besogne que d'écrire sans talent, que d'aimer sans
amant.
J'ai beau vouloir, ma muse s'est envolée au loin et rien ne
résulte de cette vaine tentative qu'une mixture insipide et
incolore.
J'ai beau lutter, tenter d'exister envers et contre tout,
m'adonner corps et âme au bel art de la plume, qui suis-je
sur ce papier que l'on pourra froisser, déchirer , enflammer
et jeter en pâture aux langues de feu gourmandes d'un âtre
auprès duquel il fait meilleur se réchauffer?
Suis-je seulement cela, un bout de papier usé, sur lequel on
aura peut être aimé se pencher encore et encore mais qui
finira pourtant en combustible?
Pourrais-je caresser l'espoir de nourrir plutôt le feu des
âmes, avec la mienne qui s'offre nue à qui veut me lire, qui
veut m'entendre et me connaître?
Il est des fois où mes mots auront remué la vague, là, au
creux du ventre, et même parfois, où la jetée aura débordé,
laissant couler sur le visage quelques gouttes salées.
Dois-je dire merci? Est-ce ainsi qu'il faut que l'on m'aime?
Je me dois d'accepter l'idée que l'on puisse m'aimer, sans me
connaître, sans même le vouloir, qu'ainsi on n'aime seulement
mon verbe et ce qu'il représente, mais que celle qui émeut
restera anonyme, cachée derrière ses textes, juste un livre
ouvert sur un corps déserté. Déserté? Pas même, inexistant.
Peut-être ne serais-je donc un jour qu'un ouvrage qu'on
parcourt, les mots auront dominé l'être, je ne serais plus
qu'eux, disparue de la réalité dans celle que j'aurais créée.
Aucune image de moi, aucune vision, plus même de sexe, ni
une femme ni un homme, ni même un esprit, simplement des
phrases et des phrases à la pelle que l'on dévore, que l'on
déteste ou qu'on adore, que l'on retient, que l'on vénère aussi
parfois. Je serais les sentiments que certains ne savent
exprimer, je serais l'irréalité que l'on visite en rêve, la peur
irraisonnée que l'on ressent la nuit, les mots que l'on n'ose
dire. Je serais le livre de chevet d'untel, la bête noire des
cancres et des vilains, l'égérie peut être des rêveurs, mais qui
sait si déjà, moi-même, je ne rêve pas?
Serais-je seulement lue de quelqu'un, d'un quelqu'un que
j'aimerais toucher, au plus profond de lui, afin qu'il sache, qui
je suis, qui j'étais, et qui je deviendrais?
Je serais moi, je suis auteur, j'étais quelqu'un et je le reste.
Quelque part sur cette terre, peut-être une trace de moi
subsistera, quoique soit ce moi, quelque forme qu'il prendra,
poussière, charbon, corps ou âme, je serais disséquée,
disséminée aux quatre vents, et j'aurai existé, une minute ou
une heure, pour quelqu'un, pour ces autres, que je frôle
encore parfois, du bout du doigt.
Au moins, j'aurai été élément, dans ce monde que je foule,
que j'écraserais bien quelquefois lorsqu'il blesse.
Chaque chose à sa place, chacune son devenir.
"Je suis élément de ce monde, ce monde est mon élément",
ai-je dis, déjà, il y a longtemps.
J'aurais été aussi insignifiante qu'un souffle quand les siècles
auront passé, mais il aura peut-être porté en lui les germes
d'un second, et l'existence suit son cours, d'un souffle à
l'autre.
Alors, quoique deviendront mes mots, quoique sera le futur
d'après moi, mon passage aura compté, là, juste là.
Un jour où l'autre, la mort viendra tout emporter avec elle,
quelques soient les traces qui subsisteront.
Et Soi mourra quand même...
Ainsi va l'Univers.
Lully. ©
Tags : mots, serais, moi, sans, seulement
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Commentaires
1foxxy1Mardi 3 Février 2009 à 21:01RépondreQuel magnifique compliment que voilà, il aura réussi à colorer de rose mes pommettes jusqu'alors trop pâles, procurant par là même à mon esprit trop souvent en proie au doute ces derniers temps un chaleureux réconfort... Et pour cela, merci mille fois!3VivienneMercredi 21 Octobre 2009 à 17:57Bon texte. Je découvre ton blog par hasard...bonne soiréeEt pour te prouver que tu écris vrai, le temps n'as pas de prise sur la fragile éternité (?) d'une pensée écrite... il y a trois ou quatre ans ? Mais c'est maintenant que je prends au temps le temps de te lire (ou relire ? probablement : j'ai dû me dire, il y a fort longtemps, remettons mon commentaire à plus tard... plus tard), que j'arrache à ma nature fatiguée un instant et un effort d'écriture, j'avoue sans dessus-dessous et assez ésotérique... pour te dire que tu as raison : la pensée demeure à travers l'écriture, et la flamme passe d'âme à âme et de génération à génération, pour peu que quelqu'un puisse et veuille la relire, parfois bien, bien, bien plus tard. Pour m'être habitué à fréquenter des auteurs d'une lointaine Antiquité, j'ai ressenti ce que tu veux dire.
Si tu veux j'en aurais à dire plus sur ce texte, il y a beaucoup à dire en fait, comme cette magnifique image de cette toile tissée de verbe. A condition que j'en prenne le temps...
Je t'ai vue passer discrète dans mon antre vide, au sein de laquelle je ne m'exprime presque plus que par images (me demandant parfois si je sais encore écrire, mais tout cela est cyclique, et revient de manière totalement imprévisible, j'ai espoir).
Je sais que tu as quant-à toi posé ici des mots qui attendent d'être lus, et j'espère que tu continue à tisser semblable étoffe.
Honte sur moi, j'ai mis tellement de temps à te répondre!
Quel plaisir de te retrouver par ici, pourtant, cher ami!
Et dis moi donc tout ce que tu as à dire, c'est toujours avec grand intérêt que je découvre tes mots!
Je connais comme toi les caprices de l'inspiration, et ne m'exprime plus que très rarement, malheureusement, comme tu as pu le constater, je ne peux donc que compatir à ce que tu ressens, autant qu'il m'arrive de le ressentir. Mais comme toi j'ai bon espoir, Ma Muse finit toujours par rentrer au bercail, malgré ses longues errances!
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