• La Guerre Froide .

    Après un peu plus de deux longues années pendant lesquelles je n'avais pas réussi à écrire un seul mot, je me suis éveillée un matin de juillet, la tête emplie de phrases et d'idées, et d'une traite, pendant des heures, du matin jusqu'à la nuit, j'ai écris sans relâche cette nouvelle, ne voulant surtout pas risquer de la laisser inachevée.
    Ce retour à l'écriture, enfin, me redonna courage, et confiance, en ma petite muse qui parfois s'envole trop loin de moi.
    J'espère que vous saurez l'apprécier autant qu'elle m'a apporté en l'écrivant.

    A lire avec ... - Nosfell - Mindala Jinka - ... - Nosfell - Children of Windaklo - ...

     

    La Guerre Froide

     

    Prologue

     

    Dans la salle d'attente froide et vide d'un laboratoire, Alice attendait nerveusement qu'on vienne la chercher, son lecteur mp3 aboyant dans ses oreilles un morceau de Led Zeppelin.

    Elle n'avait jamais pu dépasser cette angoisse irraisonnée des piqûres et ce malgré son goût prononcé pour les piercings, ce qui bien sûr, elle le savait, ne faisait pas de sens, mais c'était ainsi, point. Elle avait toujours l'estomac noué jusqu'à ce que le supplice, qui soit dit en passant n'avait pas été si terrible que ça, soit enfin terminé.

    - « Examen sanguin de routine mon œil...Mouais, on voit bien que c'est pas à eux qu'on ponctionne du liquide vital! » s'énervait-elle toujours face à l'inflexible mur parental, la rage au bord des yeux - sentiment de ridicule - avant de partir s'enfermer dans sa chambre en prenant bien soin d'en claquer la porte.

    Le binôme humain qui donnait sens et droiture à sa vie ne semblait décidément rien comprendre!

    Depuis quelques temps, ils lui cassaient les oreilles avec leurs inquiétudes de géniteurs aimants : « Mange un peu, t'es toute pâle » , « Quelques kilos de plus ne te feraient pas de mal, tu vas devenir invisible si tu continues » «Éteint moi cette cigarette!! Nan mais t'es pas bien?! » « Bravo ma fille, tu as gagné le 1er prix du concours de zombies ce matin! » semblaient être la seule litanie qu'on daigne lui offrir...

    C'est vrai qu'elle mangeait peu et avait perdu l'appétit, exceptées les orgies de céréales qu'elle se payait en rentrant du lycée, pour ne finalement rien avaler le soir, à table.

    - « Mouarf, c'est typiquement ado d't'façons, j'mange bien mieux que certains de mes potes, Lucie elle elle dégueule tout ce qu'elle avale, chez moi au moins, ça fait le trajet jusqu'à la chasse d'eau, na! » lâchait-elle alors devant l'expression dépitée de sa mère.

    Enfin...

    Si elle était là aujourd'hui c'est que son médecin avait tout de même diagnostiqué une anémie, après qu'elle eut été examinée suite à une fatigue extrême accompagnée de fièvre, de sueurs nocturnes, et de saignements inhabituels, pourtant elle ne s'en inquiétait pas plus que ça.

    - « De toutes façons j'ai jamais été réglée comme une horloge, je suis un être complexe! » plaisantait-elle.

    Elle était plus préoccupée par son devoir de sciences pour lequel elle s'était ramassé un 4/20 et sur le « comment l'annoncer à ces chers dictateurs » sans compromettre sa venue à la soirée « de folie » qu'organisait sa meilleure amie Lucie le week-end suivant...

    Entière à ces considérations bassement intéressées ajoutées au volume maximum de la musique , elle n'entendit pas la secrétaire médicale scander son nom à plusieurs reprises, jusqu'à ce que celle-ci fasse irruption devant elle, la tirant de sa torpeur dans un sursaut.

    - « Melle Alice Odin? »

    Elle marmonna son assentiment, ravalant sa salive malgré la boule qu'elle sentait se reformer dans sa gorge, et la suivit vers la salle de torture.

    Elle en ressortit, souriante et ragaillardie , quelques minutes plus tard, un verre d'eau sucrée et un biscuit à la main - « chaque effort mérite récompense » - heureuse de prendre la poudre d'escampette et de sortir de ce laboratoire trop blanc, trop propre, et trop impersonnel, n'écoutant pas la secrétaire qui essayait tant bien que mal de lui dire quand seraient disponibles les résultats.

    « La poste ça existe, nan?! ».

     

    ***

     

    Une belle parade et une légère omission peuvent vous faire tout gagner, vous le saviez?!

    - « 16/20 en littérature, c'est excellent ma chérie! Bon, ok, tu peux aller à la soirée de Lucie... »

    Après tout, ils verraient bien la totalité des résultats au moment du bulletin trimestriel, et ce n'était pas à proprement parler un mensonge, puisqu'ils n'étaient au courant de rien!

    C'est donc euphorique et survoltée qu'Alice se précipita dans sa chambre histoire de trouver dans sa garde-robe LA tenue qui la mettrait en valeur pour festoyer grandiosement.

    Quinze essayages et un capharnaüm infernal plus tard, elle était fin prête à éblouir les foules!

    « Là ma p'tite, tu vas tout déchirer! », faisant un clin d'œil à son reflet, pimpante et fraîche comme une rose.

    Elle avait enfilé une jolie petite robe jaune de laquelle saillaient ses hanches osseuses, par dessus un panta-court noir aux finitions bouffantes, et avait chaussé ses Doc-Marteens violettes, ce qui pour elle équivalait au « fin du fin ».

    Son visage de petite fée maligne était légèrement maquillé et elle avait une mine superbe, aujourd'hui! Elle avait piqué des crayons de couleur au creux de ses longs cheveux roux pour en faire des chignons et rehaussé son regard vert d'un trait de khôl noir.

    Elle s'était rarement trouvée aussi jolie!

    C'est ainsi qu'elle descendit en trombe les escaliers – sensation de grâce aérienne – et arrivée devant son père, lui fit une révérence, un sourire conquérant aux lèvres.

    Celui-ci éclata de rire « Une princesse moderne on dira! Tu es très jolie, allez, va! Amuse toi bien et sois sage! ».

    « Ahlala...les recommandations parentales, ça finit toujours en antiphrase! S'amuser en étant sage? Mouarf! ».

     

    La soirée avait été un succès total, d'un point de vue adolescent, s'entend!

    Quelques cadavres par-ci par-là, éviter les flaques de vomi, les larmes des jeunes filles éperdument amoureuses et déçues, les mains baladeuses de certains, tout ceci dans une ambiance électrique où la musique orchestrait chaque phrase, baisers volés et rires alcoolisés.

    Un véritable gala-punk où Alice s'était laissée aller à en perdre le nord, mais d'où les souvenirs sortiraient grandis et inoubliables, une fois la gueule de bois passée!

     

    ***

     

    C'est sous une pluie battante qu'Alice rentra du lycée ce mercredi, passant le seuil de la maison dégoulinante et de mauvaise humeur, et embrassa sa mère furtivement avant de monter l'escalier.

    Elle se débarrassa de ses vêtements qu'elle jeta en hâte sur le sol de sa chambre pour enfiler quelque chose de sec, avant de se précipiter à la cuisine sur tout ce qu'elle pourrait trouver à grignoter devant l'ordinateur.

    Elle était absorbée dans des recherches pour une dissertation d'histoire sur le sujet « L'Europe et la Guerre Froide » quand son père rentra de sa journée de travail.

    - « Alice, viens là s'il te plaît ».

    Elle râla en se levant, vida d'un trait sa tasse de chocolat chaud et rejoint son paternel à la cuisine.

    - « Qu'est ce que j'ai encore fait? J'étais en train de bosser, j'ai une dissert' à rendre pour demain... ».

    Ses deux parents étaient assis côte à côte devant une cafetière fumante et ne disaient mot.

    « Oh...ça sent pas bon pour moi... »

    Son père la regarda d'un œil tendre et eut un léger sourire avant de baisser les yeux vers un courrier qu'il tenait à la main, sa mine se renfrognant.

    Les résultats d'analyse étaient arrivés, et à la tête qu'il faisait, Alice se dit que sans le savoir, ils avaient du la tester pour connaître son taux de THC... « Ouille ouille ouille » - estomac noué – elle allait passer un sale quart d'heure...

    Mais c'est d'une voix douce que son père lui parla. Elle sentait une inquiétude perceptible au travers de ses mots lorsqu'il lui dit que son analyse sanguine révélait des résultats inhabituels.

    En effet, elle avait bel et bien une sérieuse anémie, mais en plus de cela, son sang présentait un nombre élevé de lymphocytes.

    - « Des globules blancs, si tu préfères. »

    « Je sais je sais, je vous rappelle que je suis des cours de bio au lycée...

    Bref, heuuu, ça veut dire quoi en gros? ».

    A son grand désarroi, Alice encaissa en râlant la nouvelle de futurs examens médicaux à subir dans les jours à venir.

    - « Putain mais nan, pas encore! Vont me faire quoi cette fois? Je déteste les médecins! ».

    Et la porte de sa chambre claqua une nouvelle fois.

     

    ***

     

    Phase 1 – Temps 1

    Examens

     

    C'est dans une nouvelle salle d'attente, bondée celle-ci et encore moins accueillante que la précédente, qu'Alice attendait son tour.

    La climatisation avait été poussée à fond et il régnait une chaleur digne des enfers, ajouté à cela les toussotements, chuchotements, et bruissements en tout genre qui emplissent toujours l'atmosphère déjà désagréable de ces lieux inhospitaliers.

    Heureusement, son lecteur mp3 était toujours là pour lui offrir d'autres sons à écouter, mais elle n'avait pas le cœur à apprécier la mélopée que Lisa Gerrard entonnait pour ses seules oreilles, aujourd'hui.

    « Musique à entendre, pourquoi entends-tu la musique si tristement? » écrivait si justement Shakespeare...

    Elle rongeait ses ongles déjà plus que courts entre deux lignes de son livre de Sonnets sur lequel elle n'arrivait pas à se concentrer. Pourtant elle aimait les belles lettres, mais son esprit se tordait, se contorsionnait dans des cascades de questions sans réponse et d'inquiétudes sans nom qui n'auraient de repos que le sien arrivé.

    «Que vont-ils me faire? Vais-je avoir mal? »revenaient le plus souvent hanter ses pensées.

    Elle savait pourtant qu'aujourd'hui ce ne seraient que quelques analyses sanguines supplémentaires, mais elle ne pouvait s'empêcher d'appréhender la suite, elle qui détestait tant les institutions médicales. Cette peur irraisonnée de la douleur, l'odeur médicamenteuse qui envahissait les lieux et obstruait son souffle, les blouses blanches qui s'affairaient sans prêter attention à ceux alentours, tout cela agrémentait son malaise qui ne cessait de croître.

    « Une prise de sang , ce n'est qu'une prise de sang! Fais pas ta pisseuse! » - Gorge nouée -.

     

    ***

     

    La semaine suivante , le médecin de famille, qui était aussi un excellent ami, passa chez eux à l'improviste, ce qui n'était pas dans ses habitudes et qui, dans le contexte actuel, ne rassura pas Alice quand elle descendit et le vit installé devant un café avec ses parents.

    Il l'accueillit avec un sourire bienveillant et lui indiqua une chaise.

    Elle s'exécuta silencieusement, l'angoisse faisant naître dans son ventre des bouillonnements désagréables.

    - «  Bonjour Alice, comment te sens-tu? »

    - « Heuuu...Comme une ado de base! Question suivante?! ».

    Un sourire plaisantin aux lèvres, elle attendait la suite en essayant de dissimuler son inquiétude tant bien que mal.

    L'ardeur avec laquelle elle s'appliquait à paraître insouciante n'avait d'égal que le regard sombre de son père qui lui ne cachait pas sa nervosité, jetant des coups d'œil de l'un à l'autre.

    - « Bon. Jouons franc jeu, je ne suis pas là pour vous mentir. Malheureusement il semble que tes résultats sanguins ne soient pas bon Alice. Ton taux de globules blancs est anormalement élevé alors que celui des plaquettes et globules rouges est en baisse.

    Il va falloir que tu subisses d'autres examens afin d'établir un diagnostic final, mais au vu des symptômes pour lesquels tu es venue me voir il y a quelques temps ajoutés à ton bilan sanguin, je crains quelque chose d'assez sérieux. On va devoir te faire une biopsie de la moelle osseuse afin d'en savoir plus. ».

     

    La pièce sembla soudain tourner autour d'Alice et ses contours devenir flous alors que son cœur s'emballait dans sa poitrine, son sang battant ses tempes à tel point qu'elle pouvait en sentir le moindre soubresaut. Elle était devenue aussi blanche que l'albâtre.

     

    ***

     

    Les jours suivants, ses parents n'eurent de cesse de se montrer attentionnés ce qui avait le don de l'agacer au plus haut point.

    - « ça vous est jamais venu à l'idée que j'étais p't'être simplement une extra-terrestre?! ».

    Après tout, elle était anémique, elle le savait déjà, c'était en soi quelque chose d'assez sérieux, pourquoi envisager pire?

    Elle avait décidé de ne plus s'en préoccuper.

    La seule chose qui l'angoissait vraiment était l'examen qu'elle allait devoir subir prochainement, toujours cette peur irraisonnée de la douleur, cette sensation qu'elle connaissait finalement assez peu, ne s'étant jamais blessée plus gravement que par de petites écorchures et coupures, de celles que l'on se fait en tombant de vélo!

    Alors pour n'y plus penser elle répétait intérieurement :

    « Carpe Diem ».

    « Carpe Diem ».

    « Carpe Diem ».

    « Pis de toutes façons, peuvent rien trouver de normal, j'suis pas humaine! ».

    Et elle riait toute seule de ses inepties.

     

    ***

     

    Et une salle d'attente de plus!

    Décidément, Alice se dit qu'elle devrait prendre un abonnement!

    A côté d'elle une « vielle bonne femme » lisait un magazine féminin avec un air absent.

    La moquette murale était d'un beige crasseux qui jurait avec celle du sol, d'un bleu pâlichon.

    Alice jouait avec les fils de son casque tandis que Nosfell se payait une transe au fond de ses oreilles. « This emotion haunting me said the young Sladinji » .

    Cette phrase se répercutait dans son esprit, et elle s'imaginait des landes aux couleurs estivales où un homme seul dansait corps et âme, en harmonie avec la nature alentours, un majestueux dragon tatoué sur le torse. Son crâne glabre luisait des rayons d'un soleil brûlant et ses pieds martelaient le sol, l'entraînant avec lui et l'éloignant autant que possible de cette pièce confinée à l'atmosphère écrasante.

    Mais ce fut la chambre froide qui la ramena à la réalité.

    Le lit aux draps tendus, les murs vierges et blanc, la chemise d'hôpital d'un rose bonbon à vomir avec laquelle elle dut se battre pour essayer d'emprisonner ça et là les morceaux de peau qu'elle laissait apparents, dans une nudité gênante offerte aux yeux des autres.

    Les infirmières faisaient tour à tour des incursions répétées au cœur de cette pièce, la privant de toute intimité dans ce lieu d'exposition corporelle.

    « C'est clair, je suis une extra-terrestre et la corporation scientifique va me disséquer... Mouarf». - Sang glacé - .

     

    Enfin vint l'anesthésiste, et son produit miracle, celui qui pourrait l'emmener au loin, vers ces landes silencieuses!

    - « Comptez jusqu'à 10 Mademoiselle ».

    - « 1...2...3...4...Sladinji attend ... moi... » [...].

     

    ***

     

    Point de landes, non. Aucun rayon dardé.

    Pas même le silence. Juste un semblant de calme obstrué par le bourdonnement des machines.

    « J'ai rejoint mon vaisseau? ».

    Une lumière blanche, glaciale, qui éveille brutalement.

    Cette sensation d'engourdissement qui saisit tout le corps, la mâchoire et la langue.

    - « Ch'ai été dichéquée? » et l'infirmière qui regarde Alice, incrédule.

    - « Fou m'afez au moins laiché mon âme, hein?! ». - Sourire compatissant - .

    Les draps froids et rêches sous la peau, et « Oh » cette gêne au creux du dos, la douleur qui commence à poindre sous le pansement qui l'enserre...

    « Putain d''coalition ».

     

    ***

     

    Phase 1 – Temps 2

    Attente

     

    - « Ahhh!! Mais ça fait mal!! M'arrache pas la peau j'en ai encore besoin! Aïïïïeeee!!! ».

    Papa ôtait le pansement du dos de sa chère fille, indifférent à ses jérémiades auxquelles il était habitué et qui avaient plutôt le don de l'amuser depuis 16 ans, déjà.

    - « Si tu arrêtais de gigoter aussi! ».

    Finalement, après quelques journées douloureuses, Alice était ressortie revigorée de cette expérience désagréable et reprenait le cours de sa vie lycéenne tranquillement, enterrant vite fait ces souvenirs dans un bavardage succin, pour les laisser bien loin derrière elle, enfin.

    - « Ouais ouais, une sorte de ponction. Bah ouais, ça fait un peu mal.

    Jamais agréable de se faire charcuter. Bof, basta, vise un peu le ptit nouveau là bas?! »

    Lucie et elle s'étaient trouvé une nouvelle passion : « Chandresh » , nouvel élève d'origine hindou fraîchement intégré à leur classe.

    Le bellâtre était un peu timide mais elles n'avaient pas froid aux yeux, et armée d' une bonne dose de culture, d'humour et d'amitié, Alice comptait bien goûter aux saveurs indiennes!

    - «Chandresh! J'me suis renseignée, ça signifie « Seigneur de la Lune », ça te dirait d'apprendre à capturer la mienne?! ». Et dans un grand éclat de rire, Alice lui adressa un clin d'œil avant de s'enfuir . – Aérienne légèreté de l'être - .

     

    ***

     

    D'humeur inégale, Alice se sentait tantôt pleine de vie et débordante de joie, tantôt anéantie de fatigue, triste et maussade.

    Conquérir son jeune prince lui avait paru un jeu fantastique mais à la fois, elle n'arrivait pas à chasser de son esprit les doutes qui venaient la hanter, chaque soir avant de s'endormir, concernant son petit corps qui ne fonctionnait pas comme tous les autres.

    Et si ce qui l'attendait n'était pas ces moments insouciants à partager, si la suite s'avérait défavorable?

    Et si son sang , si sa chair, s'en venaient malgré elle à dépérir, lui réservant de mauvais jours, la maladie s'installant dans son antre, venant la dévorer, cellule après cellule, énergie et félicité?

    Et si...elle était déjà là?

    La peur grondait dans son ventre « abîme bouillonnant d'angoisse, vert chaudron de lave », et elle crispait ses mains sur l'oreiller, y enfonçant son visage pour ne plus penser...

     

    « Aliiiiceee...Aliiiiiiiiceeee! »

      Tâtonnant dans l'obscurité, errant le long de couloirs blancs et infinis, frôlée sans cesse par d'informes masses glacées, Alice suit la lueur verte qui s'anime au fond là bas...
    Les sons semblent comme altérés, assourdis, en écho se répercutant sur les parois capitonnées.

    Elle entend son nom comme scandé de multiples voix « Aliiiiceeeee... » et ne trouve pas son chemin, trébuchant sur d'horribles créatures grimaçantes qui enserrent ses jambes nues.

    Des lueurs verdâtres ondulent autour d'elle, comme envolées d'un cloaque empli d'immondices éthérées, semblant lui indiquer une voie, où aller...

    Une ouverture s'opère dans le sol au dessous d'elle , tirée par une main inhumaine aux doigts gantés d'argent et de métal qui l'attire à elle.

    Un visage sans âge, déformé par le temps et l'avidité lui fait face et deux yeux noirs où luisent la folie mêlée de savoir l'observent sans relâche.

    « Aliiiiiiceeeee tu ne dors pas...SENS! ».

     

    Un goût de sang sur la langue, Alice s'éveilla en sursaut, tirée de cet étrange cauchemar par la morsure qu'elle avait infligé à sa lèvre inférieure, dans son angoisse.

    « Merde Merde Merde! »

    « Ce serait trop demander que de dormir un peu en paix?!! ».

     

    ***

     

    Phase 1 – Temps 3

    Diagnostic

     

    Samedi matin.

    Jour tant attendu où enfin profiter d'une grasse matinée!

    - « Bham, même pas, on est samedi et paf, je dois faire quoi?! Me lever?!

    Merde, c'est dégueulasse! ».

    En effet, Jean, le médecin, n'avait pas trouvé mieux que de se pointer ce matin là.

    « Ordure! ».

    Alice pestait tout en préparant le petit déjeuner, jurant qu'elle ferait payer tout cela depuis l'au-delà...

    - « Et le Karma? Vous y pensez au Karma? Bah j'aimerai pas voir le tien Papa!! ».

    Mais son père ne semblait pas avoir le cœur à rire. L'attente des résultats avaient été longue pour eux comme pour elle, et leurs nuits n'avaient pas non plus été enchanteresses...

    Sa mère buvait son café silencieusement, le regard dans le vague, absente à ces chamailleries matinales, ses yeux suivant la course d'une nuée d'oiseaux par la fenêtre.

    Alice avait refusé de s'habiller, décrétant qu' « un jour de grasse mat', à défaut de pouvoir dormir on traîne en pyjama! ». - Mauvaise foi quand tu nous tiens - .

    Jean fut donc accueilli par une jeune fille furibonde, à la tignasse en bataille et l'humeur massacrante, dans une tenue d'épouvantail, mais il ne sembla pas s'en préoccuper, l'air grave, il entra dans la cuisine pour saluer le duo parental.

    Alice sembla se calmer devant sa mine obscure, et s'assit à table avec eux, dans l'expectative de ce que leur annoncerait leur visiteur.

    Inquiète, elle triturait le morceau de pain qu'elle n'avait pas mangé, laissant éparpillées des boules de mie blanche sur la nappe.

    « La sentence approche. ».

     

    - « Bon. Malheureusement je ne viens pas vous annoncer de bonnes nouvelles.

    J'ai les résultats de la biopsie d'Alice, et ce n'est pas bon du tout.

    Pfff...Je ne sais pas comment vous dire ça... »

    - «En ouvrant la bouche et en articulant, ça peut aider... », glissa Alice, un sourire forcé aux lèvres.

    - « Alice, vraiment, je n'ai pas envie de plaisanter.

    Voilà. Tu as une leucémie. Une leucémie lymphocytaire chronique, pour être précis. »

    Cette grande dame calme que s'efforçait d'être depuis quelques minutes sa mère laissa échapper un sanglot , regardant sa fille d'un air désespéré.

    - « C'est très grave? ».

    Sa voix s'était faite un souffle à peine audible.

    - « Et bien, la maladie en est à un stade avancé, mais rien n'est perdu!

    La moelle osseuse peine à produire suffisamment de cellules pour transporter l'oxygène dans le sang et combattre les infections, tu risques rapidement de t'affaiblir et de tomber malade mais nous allons faire ce qu'il faut pour freiner tout ceci.

    Je ne te cache pas que tu vas devoir subir des épreuves, des traitements difficiles.

    Une chimiothérapie va permettre de traiter certains des symptômes : la fatigue, l'anémie, mais il faudra aussi que tu subisses régulièrement des transfusions sanguines et des injections pour stimuler la formation de plaquettes et de globules rouges, et nous allons aussi te traiter à l'aide de l'immunothérapie, afin de renforcer les mécanismes de défense naturel de ton organisme... »

    [...]

    - « Je suis désolé. J'aurai mille fois préféré vous annoncer que ce n'était rien.

    Mais nous allons te soigner et tout ira bien! Tu as toutes tes chances de t'en tirer forte comme tu l'es! »

     

    « Forte...La puissance d'un mollusque qui s'est fait piétiner oui...

    Leucémie. C'est donc ça.

    Le mot est tombé...

    Leucémie...

    J'ai du mal à l'intégrer.

    Vais-je dépérir? Vais-je mourir?

    Leucémie...

    Vais-je peu à peu me transformer en un être de chair flasque que plus rien n'habite? ».

    - Gorge nouée - .

    Alice s'est levée sans mot dire.

    Elle embrassa sa mère, son père.

    Elle a quitté la pièce sans un regard pour Jean « Annonciateur d'Apocalypse », calme, l'air résolu, avec toute la dignité dont elle était capable.

    Elle a ouvert grand la porte d'entrée, et, sifflant sa chienne, « Thelma viens! », s'élança dans le jardin, au grand air, là , sous les frondaisons des saules qui tendaient leurs branches feuillues comme pour l'accueillir.

     

    ***

     

    Phase 2 – Temps 1

    Déni

     

    Pendant plusieurs jours, Alice fuit la présence de ses parents qui essayaient tant bien que mal d'avoir une discussion avec elle.

    Les pauvres n'avaient de cesse de la solliciter avec leurs airs bienveillants et inquiets, ce qui n'avait d'autre effet que l'enrager au plus haut point.

    - « Discuter? Discuter de quoi?! J'ai rien à dire moi!

    Foutez moi la paix et regardez plutôt ce foutu bulletin!

    Y a rien qui vous choque? Alors allez-y gueulez un bon coup, signez et congédiez-moi dans ma chambre, que j'ai un peu la paix! ».

    La gifle était partie toute seule. Son père regardait sa main d'un air hagard comme s'il venait de découvrir qu'elle pendait là, au bout de son bras, pour la première fois.

    Alice porta la sienne à sa joue endolorie et deux gouttes salées apparurent au bord de ses paupières, encore accrochées à ses cils pour quelques instants, suspendues dans l'infinité du temps qui semblait s'être arrêté.

    - « T'es qu'un connard! ».

    Ses pas résonnèrent dans l'escalier et la porte de sa chambre claqua, une fois encore.

    Allongée sur son lit elle martelait de coups son oreiller, en proie à une colère intense.

    « Je ne suis pas malade bordel! ».

    Elle sanglotait de rage et de dépit, seule face à ces démons qui venaient la ronger.

    « Qu'ils me traitent comme n'importe quelle fille de mon âge!

    Je ne suis pas malade! ».

    Elle répétait ses mots comme si la litanie pouvait emporter avec elle l'inéluctable vérité à laquelle elle ne voulait faire face.

    Les vacances scolaires étaient enfin là, elle avait conquis son doux prince indien et partirait en vacances avec Lucie et lui d'ici quelques semaines, c'était certain.

    L'été ne pouvait que lui sourire!

    Calmée, elle s'empressa d'attraper son téléphone portable, messager moderne qui clamerait son amour auprès de Chandresh.

    - « J'ai loué une navette en partance pour la Lune, ton Royaume.

    Viendras-tu avec moi mon Prince? - Ta Sélénienne -. ».

    - « Départ imminent. Rendez-vous à la base (au Parc).

    Tenue spatiale exigée! - Ton Obligé -. ».

    Cette réponse rendit son sourire à Alice, et après avoir vidé son armoire pour se vêtir à la manière d'une « Princesse de l'Espace », celle-ci courut rejoindre l'objet de ses pensées, sans prendre la peine d'écouter les recommandations criées par sa mère.

     

    Alice ne rentra pas ce soir là.

    Elle n'avait pas envie de quitter Chandresh, et voulait continuer à se blottir paresseusement contre lui.

    Ils avaient finalement investi la chambre de celui-ci, et, à force d'élans de tendresse, de baisers et de caresses, elle sentait monter en elle le désir d'aller plus loin. - Papillons au creux du ventre - .

    Son Prince méritait décidément son surnom, tant il se montrait prévenant.

    Pourtant, peu à peu, un sentiment tout autre , bien éloigné de leurs doux échanges, commençait à poindre, une inquiétude, un questionnement.

    « Et si c'était dangereux pour moi de me laisser aller? »...

     

    ***

     

    Phase 2 – Temps 2

    Acceptation

     

    Alice se redressa doucement pour s'asseoir sur le lit.

    - « ça ne va pas? ».

    - « Si si, ne t'inquiète pas. Il faut que je te parle ». - Résolution - .

    Alors à lui, elle déballa tout ce qu'elle avait sur le coeur.

    Elle se sentait si bien, en confiance, qu'elle avait l'impression de lui devoir la vérité.

    Elle lui raconta comment, d'un rien, elle avait finalement appris qu'elle était malade; comment depuis quelques temps elle s'y était refusée, et comment, grâce à lui quelque part, elle commençait à l'accepter. La peur de provoquer quelque chose de dangereux pour elle et pour lui en faisant l'amour pour la première fois lui avait fait prendre conscience qu'elle ne savait rien du mal qui la rongeait, de sa présence en elle, et des conséquences qu'elle subirait si elle n'agissait pas.

    Pour la première fois elle se laissa aller aux larmes et accepta le réconfort que lui offrait son écoute et ses bras. - Temps Mort - .

    Après un moment de silence, Alice essuya les traces de ses pleurs d'un revers de main, et sourit.

    - « Alice au pays des merveilles ? Là c'est plutôt Alice au pays du cancer...M'enfin.

    On va le battre, hein?! ».

    Chandresh acquiesça en lui souriant.

    - « Je serai là pour toi. ».

    Pas un instant il n'avait manifesté de crainte alors qu'elle lui confiait son douloureux secret, son attitude restant la même, et pour ça, elle lui en était reconnaissante.

    - « Merde!! Mes parents vont me flinguer, t'as vu l'heure!!

    Tu me raccompagnes?! ».

    Et ils partirent en trombe, courant main dans la main sous l'orage qui venait d'éclater, trempés, hilares, vivants!

     

    Ils n'avaient pas l'air engageant, lorsqu'Alice arriva face à ses parents.

    Assis côte à côte dans le canapé vert olive du salon, ils l'attendaient, visiblement mécontents.

    Sa petite fugue de quelques heures n'était clairement pas passée inaperçue...

    « La Rage au Cœur, Courage! ».

    Elle s'assit face à eux, et avant qu'ils n'aient pu ouvrir la bouche, elle s'excusa et entama un long monologue, ponctué ça et là d'apostrophes de son acabit « putain » « merde alors » et autres mots fleuris! - Fougueux élan - .

    Finalement, Alice assura qu'elle était prête à livrer bataille contre cette maladie, et qu'avec leur soutien, elle savait qu'elle ne pourrait que gagner.

    Avec un sourire, elle les rassura : « Hey, la guerre bactériologique prend pas sur une extra-terrestre telle que moi! ».

    Soulagés de voir leur fille , redevenue elle-même, accepter enfin la situation et décidée à la vaincre, chacun pu souffler un bon coup, prêt à affronter ce qui s'ensuivrait.

    « Le plus dur reste à venir, mais Advienne que pourra! ».

     

    ***

     

    Phase 2 – Temps 3

    A l'abordage!

     

    Journal d'Alice

     

    Aujourd'hui, j'entre à l'hôpital, dans un service pour adultes.

    Il y a des gens de tous âges, peu d'ados comme moi, par contre.

    Certains en phase terminale, d'autres dans mon cas.

    C'est flippant tout ça. Je m'apprête à subir ma première séance de chimio demain, ça fout la trouille, est-ce que ça fait mal?

    « Fais pas ta pisseuse Al! »....

    Mouarf, c'est mieux.

    Avec Chandresh, on s'est mis à étudier le livre des morts tibétain.

    Le...merde, c'est quoi déjà?...Le « Bardo Thôdol ».

    Alors concrètement, ça pourrait paraître glauque, mais nan, ça ne l'est pas.

    On s'apprête à livrer bataille , alors quand d'autres scandent la bible, nous on préfère les textes sanskrits et les mantras, na!

    Mine de rien , ça me fait du bien.

    Mon Prince m'apprend aussi la relaxation, la méditation, il dit que ce sont de bien meilleures armes que la colère. Je sais qu'il a raison , et j'y travaille, mais putain, Dame Nature aurait tout aussi bien pu plomber mon corps d'or, plutôt que de microbes...

    M' enfin...

    Je m'arme de courage, de patience, de confiance et de positivisme pour affronter ces hordes de démons qui grouillent en moi. -C'est dégueulasse –

    Pour finir, je citerai ma Créatrice, Mère de ma Planète, lors d'un de ces prêches éclairés : « Si a pas peur a pas mal, et si a pas mal, a pas peur! ».

    -Chacun ses croyances - .

     

    ***

     

    Ce matin, avant la première séance de chimio, un médecin ...(*)

    [- Oh My Goddess, obligée de faire une parenthèse je suis...- (*)Que disais-je, n'était-ce pas Sean Connery réincarné en ange, départi de son attitude 007 mais non pas de son flegme?

    C'était la beauté incarnée, le sex-appeal, le...Bref... - parenthèse terminée - ]

    ...(*)un médecin est venu me voir pour me parler des risques d'infertilité que j'encourrais en subissant une chimiothérapie, que, vous en conviendrez, je ne peux pour mon malheur esquiver.

    Sur son conseil, j'ai décidé de me faire faire un prélèvement ovarien - Beurk c'est dégueulasse - afin d'avoir, si le pire arrivait, tout de même une chance d'avoir un jour des minis Princes et Princesses lunaires courant partout....

    Putain...Moi qui déteste la médecine et tout le tralala, voilà que je me mets à tenir un lexique ...

    Il suffit!

    Enfin, bref.

    Toujours est-il que la première séance s'est avérée moins difficile que ce que je craignais, même si j'étais épuisée pendant les quelques heures suivantes.

    J'ai conscience qu'elles seront chaque jour plus difficile, mais tant que mes cheveux tiendront sur ma tête, je supporterai chacune d'elle avec un sourire de vainqueur!

    Fin de la journée, j'vais regarder Koh Lanta, avant que les infirmières viennent me pourrir l'existence!

    - Même pas honte! Na -.

     

    ***

     

    Une semaine durant, Alice sembla au plus sûr de ses forces, ne se départissant jamais de son humeur incisive, son humour cynique et grinçant et de son sourire de carnassière.

    Les infirmières et les médecins ne savaient que penser de cette petite allumée, un coup enjôleuse, un coup vipère, mais malgré tout si attachante.

    Chaque jour elle avait la visite de ses parents, petite princesse choyée en son pouvoir d'enfant roi, et Chandresh ne manquait jamais lui non plus à son devoir de Prince Charmant.

    Lucie aussi venait , au moins une petite heure , égayant la pièce de ses anecdotes toujours plus étonnantes les unes que les autres, avant de repartir vers d'autres aventures.

    Et malgré la fatigue qui s'accroissait, Alice restait digne et forte, ayant toujours un peu d'auto-dérision dans sa besace pour redonner le sourire aux autres et à elle-même.

    - « Bah j'dois vraiment être née Reine des Fées, parce que les autres plaies là, jalouses, elles se sont pas beaucoup penchées sur mon berceau...A part Carabosse, s'entend! ».

    Elle commençait peu à peu à lier connaissance avec d'autres malades, peu importait leur âge et leur condition physique, rien ni personne ne pouvait empêcher sa langue acérée de pimenter les moments les plus propices au recueillement.

    Bout-en-train qu'elle était, chacun la recevait finalement toujours avec plaisir, malgré l'appréhension!

    « Hehe, on est quelqu'un ou on ne l'est pas! »- Fierté non dissimulée - .

     

    ***

     

    Difficile d'écrire dans ce foutu journal aujourd'hui.

    J'ai toujours eu deux mains gauches mais aujourd'hui j'ai surtout des moufles...

    Impression d'engourdissement bien plus présente encore qu'après l'anesthésie des examens.

    J'commence à en avoir ras le bol de cet établissement pour vieilles nonnes jamais déflorées, j'dors déjà une bonne partie de la journée mais la nuit c'est galère et avec le balai qu'elles ont là bien profond, impossible de les faire céder pour un peu plus de lumière, histoire de lire au moins...

    J'ai envie de prendre l'air, d'aller respirer l'écorce des arbres et de m'y appuyer, il fait une chaleur à réveiller un mort-vivant et je rêve d'un plongeon dans le lac, dans notre base, avec Chandresh.

    Mais nan, bien sûr que nan « il faut se reposer », y a jamais rien pour s'amuser dans cette prison pour handicapés des autres et d'eux même...

    Fait chier Fait chier Fait chier!

    Maman devait me ramener un ordi portable aujourd'hui...mais comme de par hasard, la boutique était fermée!

    Mon Prince m'a parlé d'un jeu en ligne, enfin tout le monde connaît, c'est World of Warcraft, mais j'avais jamais eu envie de devenir une geek avant aujourd'hui...Faut dire que par la force des choses, jsuis partie déjà pour être une nolife pendant un bon mois...Alors un peu plus ou un peu moins, autant que ça le soit en se marrant.

    Pis comme ça, elles pourront pas me priver d'occupation la nuit les dames blanches, et même quand Chandresh ne sera pas là, il sera là quand même...

    Mauvaise journée.

    J'vais aller emmerder un peu le papy d'à côté, il a toujours des histoires rigolotes à partager, même s'il bave. - Chocking - ...

    Voyez à quoi j'en suis réduite?!

     

    ***

     

    Ahahaha, et voilà, de meilleure humeur je suis aujourd'hui car me voilà heureuse détentrice d'un ASUS EEE PC 4G! Pour les puristes, un putain d'ordinateur portable , vert de surcroît, doté d'une connexion internet wi-fi et de, accrochez vous mesdames : WORLD OF WARCRAFT (imaginez le prononcé avec une grosse voix d'annonceur américain!).

    Ouais bon d'accord, j'vous annonce pas la venue du divin enfant et à vous ça parle peut-être pas, mais pour moi ça signifie : « Bye bye nostalgie, bye bye ennui »!

    Bref, j'ai aussitôt envoyé une brève missive à Chandresh via mon destrier à ondes télépathiques (mon téléphone portable quoi...) - Dépitée - qui disait au bas mot «  Amène tes jolies fesses d'éphèbe , le monde imaginaire de WoW nous attend! ».

    Me fallait bien un pro de la chose pour l'installer et m'initier!

    Un tour de main et pour être honnête ,surtout quelques heures et pétages de plomb de ma part plus tard, c'était chose faite, le monde d'Azeroth se tenait là devant mes yeux ébahis, m'ouvrant grand ses portes! Tadam!

    Je m'en vais de ce pas guerroyer!

    - Roleplay ON - .

     

    ***

     

    La troisième semaine d'hospitalisation d'Alice s'averra difficile.

    Les séances de chimiothérapie affaiblissant son système immunitaire, elle commença à développer différentes infections et effets secondaires.

    Son épuisement était visible, elle essayait tant bien que mal de se montrer alerte et souriante mais elle avait peine à parler, à manger et à boire, à cause d'une inflammation des muqueuses buccales.

    Celle-ci fut cependant traitée rapidement, mais son moral diminuait à mesure que tombaient ses boucles rousses.

    Ses proches voyaient de jour en jour, impuissants, leur petite fée se délabrer, secouée qu'elle était par d'innombrables nausées et vomissements.

    Lorsqu'elle retrouvait un peu de force, Alice ne pouvait s'empêcher de plaisanter.

    - « J'ai expulsé quatorze démons aujourd'hui, vont bientôt plus être assez pour se faire un tarot! ».

    Malgré les douleurs et la difficulté des épreuves à traverser, elle ne perdait pas foi en sa guérison, redonnant confiance par là même à son entourage, qui ne pouvait que l'imiter.

     

    ***

     

    Me voyant plus dépérir que guérir ces derniers temps, Chandresh est venu aujourd'hui emportant avec lui le « Bardo Thôdol », décidé à ce qu'ensemble, nous en lisions quelques extraits.

    Je ne savais pas du tout lesquels il avait bien pu choisir, et j'avais assez peur de ne pas être capable d'assimiler nos lectures à une guérison plutôt qu'à la mort, dont ils parlent initialement.

    Mais en douter c'était mal juger mon bel ange, qui de tous , a choisi celui qui ne pouvait que me redonner force et courage.

    J'ai voulu garder le livre avec moi, afin de m'en faire ma propre litanie, et j'ai envie de la retranscrire ici, maintenant.

    C'est donc un extrait du « chikhai bardo », au début de la récitation.

    « As-tu reçu l'enseignement du sage gourou initié au mystère du bardo ? Si tu l'as reçu, rappelle-le à ta mémoire et ne t'en laisse pas distraire par d'autres pensées. Conserve fermement ton esprit lucide. Si tu souffres, ne t'absorbe pas dans la sensation de la souffrance. Si tu éprouves un reposant engourdissement d'esprit, si tu te sens t'enfoncer dans une calme obscurité, un apaisant oubli, ne t'y abandonne pas. Demeure alerte. Les consciences qui ont été connues comme étant tendent à se disperser. Retiens-les unies par la force de l'Yid kyi namparshéspa. Tes consciences se séparent de ton corps et vont entrer dans le Bardo. Fais appel à ton énergie pour les voir en franchir le seuil en ta pleine connaissance. La clarté fulgurante de la Lumière sans couleur et vide va, plus rapide que l'éclair, t'apparaître et t'envelopper. Que l'effroi ne te fasse point reculer et perdre conscience. Plonge-toi dans cette lumière. Rejetant toute croyance en un ego, tout attachement à ton illusoire personnalité, dissous son Non-être dans l'Etre et sois libéré. Peu nombreux sont ceux qui, n'ayant pas été capables d'atteindre la Libération au cours de leur vie, l'atteignent à ce moment si fugitif qu'il peut être dit sans durée. Les autres, sous l'effet de l'effroi ressenti comme un choc mortel, perdent connaissance. ».

     

    Je ne perdrai pas connaissance, et la lumière me mènera à la guérison, sereine.

     

    ***

     

    Deux mois que je suis ici , déjà.

    Le crâne brillant et glabre comme celui de Nosfell, je m'apprête à l'offrir aux dards brûlants du soleil estival, ce matin!

    Enfin j'irai comme lui, danser au creux des landes perdues ma foi en Dame Nature, martelant le sol de mes pieds comme le sang bat au cœur de chaque être, comme la sève va à l'arbre!

    Aujourd'hui a sonné l'heure de ma libération! Tadam!

    Adieu pour longtemps les dames blanches, Adieu mon beau Sean , tu ne me manqueras pas!

    Adieu World of Warcraft, de longues baignades m'attendent!

    Je suis en Rémission!!!

    Bon bon bon...

    Je m'emballe un peu parce que je suis encore fragile, et sous traitement immuno machin chose, mais merde, je suis LIBREEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!!!

    Fini la bouffe dégueulasse, les séances de chimio, les mornes journées à se faire littéralement chier!

    Main dans la main, mon beau Prince et moi, on ira sereinement admirer la lune se mirer dans le lac, et Festoyer!

    Lalalalala, je suis surexcitée, survoltée, exaltée, à l'idée de retrouver l'univers extérieur!

    ...Mais toute cette béatitude m'épuise...et ...ça...me...fait...bâiller... Ahhhhhhhh!

    - Douce fatigue, comme je n'en avais plus connue depuis longtemps. - .

    - Alice s'en va au pays des merveilles.-


    ***

     

    Phase 3

    La Guerre Froide

     

    Alice s'éveille, la douce lumière du jour filtrant à travers le store.

    Bâillant avec force, elle s'étire paisiblement en expulsant les draps à coups de pieds, sautant enfin d'un bond sur le parquet de sa chambre.

    Quand d'autres mettent des heures à émerger, Alice elle, au matin, est une boule d'énergie.

    - « Bonjour là d'dans! » tonne t'elle d'une voix puissante, en traînant ses pieds nus sur le carrelage de la cuisine.

    La bouilloire branchée et l'eau qui bouillonne, un mug et un sachet de thé au jasmin, tout est prêt pour un réveil fleuri aux parfums d'orient.

    Le premier geste, Alice le répète sans plus même y penser, elle avale un à un les cachets du matin, préparés la veille.

    Elle l'oublie souvent, à présent, qu'au creux d'elle-même se terre deux camps adverses qui s'affrontent, guerre froide qui n'en finira peut-être jamais.

    Du corps et de l'esprit, elle a choisit qui vaincrait, il y a longtemps déjà.

    Souriante, elle avale son thé fumant en croquant avidement dans un pain au lait tartiné de beurre salé. - On n'se refuse rien - .

     

    Sur le chemin de la salle de bain, une petite tête brune montée sur piles électriques lui fonce dans les jambes, s'y accrochant joyeusement avec un petit rire fluet qui s'échappe de sa gorge en cascades.

    La famille s'est agrandie!

    - « Laisse moi aller prendre ma douche espèce de boulet ou je te jette aux loups! ».

    - Moultes choses à faire - !

     

    La journée s'écoule, survoltée, Alice croule sous les occupations.

    De son journal, elle écrit un livre, un conte à l'humour un peu grinçant revisitant nos grands classiques, où elle s'élève, Reine des Fées, héroïne d'une guerre intestine qui mis à feu et à sang le pays des merveilles, créatrice, avec l'aide de son doux prince, d'un chemin de traverse qui mènerait à la Lune.

    Cet astre si lointain aurait en effet le pouvoir, pour qui le désire vraiment, de faire la lumière sur soi même et sur son existence, afin d'en redécouvrir les beautés élégiaques et chasser ses démons...

    Chaque jour elle noircit des pages et des pages à l'encre rouge carmin, couleur du fluide vital, couleur de vie, couleur d'amour. - Dame de cœur - .

     

    La Guerre Froide en elle semble s'être apaisée, bien qu'elle puisse en sentir les bruissements, parfois.

    Elle sait que pour toujours en son être est instauré un équilibre précaire, mais elle a su s'en accommoder.

    - Conquérante Alice à l'assaut de chaque instant à vivre. –

     

    ***

     

    Épilogue

     

    Dans une salle bondée au brouhaha entêtant, Alice est assise derrière une table et ne distingue plus rien d'autre que la foule massée des gens qui l'entourent.

    Souriante , elle essaye tant bien que mal de répondre à chaque personne qui s'adresse à elle, lui tendant livres sur lesquels grapher pour toujours sa signature et sa parole, lui démontrant leur affection par de tendres compliments, la remerciant pour son travail et sa détermination envers la vie qu'elle a si bien su retranscrire à l'écriture de « La Guerre Froide » ... C'est légèrement absente qu'elle assiste à sa propre séance de dédicace, ce livre dans lequel elle a tout mis d'elle-même, et de son âme.

    Rêveuse, elle repousse une longue mèche de cheveux roux qui lui tombe sur les yeux.

    Son esprit vogue ailleurs, ses pensées tournées vers une petite tête brune à l'énergie inaltérable, dont le rire en cascades ensoleille même les plus glaciales journées d'hiver.

    Son minuscule visage au sourire enjôleur, le mate de sa peau douce, sont une invitation aux voyages orientaux. Atal, l'inébranlable, le petit prince de son royaume, arrive enfin près d'elle, bravant la foule pour mieux se jeter dans un rire contre le corps de sa mère.

    Chandresh attend plus loin, un sourire fier sur le visage.

    Alice embrasse son fils, le repousse gentiment afin de se saisir d'un peu d'eau.

    Sereinement, elle avale une à une les pilules du soir – Espoir - .

    Son visage rayonne d'un soleil intérieur.

     

    Ce soir, Alice a trente ans.

     

    ***

    Fin

     

     

    Lully. ©



  • Commentaires

    1
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Dimanche 1er Février 2009 à 17:19
    Une ode à la résistance et à la lutte...

    Très bonne surprise que cette fin, alors que tout au long du texte résonne le pire et vont sourdre orage et drame, et pourtant... la Volonté face à ce la Fatalité !
    J'ai beaucoup apprécié cette citation du Bardo : garder son esprit lucide en toutes circonstances, même une fois au-delà.

    Le Loup a fouiné un peu partout, il a hâte d'y aller de ses commentaires car beaucoup d'idées lui parlent au sein de ce blog.

    Chapeau bas, et salutations  !
    2
    Lundi 2 Février 2009 à 02:00
    Quel plaisir de trouver un commentaire aussi chaleureux et constructif que le tien! Bienvenue en ces lieux cher LoupdesNeiges! Je suis moi-même passée sur ton blog mais trop brièvement à mon goût, je compte bien y retourner dès qu'un peu plus de temps me le permettra, car il me semble fourmiller d'idées et de choses en tout genre que je serai à même d'aimer!

    N'hesite pas à semer tes commentaires un peu partout, ils ne seront que toujours grandement appréciés!

    A bientôt, que ce soit au coeur de ton univers, ou du mien!

    Lully, La Lutine.
    3
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Lundi 2 Février 2009 à 16:54
    Bienvenue à toi aussi, et grand merci pour tes nombreuses interventions, qui j'espère continueront.
    C'est toujours un plaisir d'être lu plutôt que simplement regardé, (je pense que c'est réciproque !), surtout lu avec discernement.

    Je vois que tu m'as placé en lien, et j'ai fait de même sur l'Antreloup, à toi de découvrir sous quel nom...

    J'espère que mes prochains commentaires saisiront aussi bien que les tiens la pensée de tes textes, car aujourd'hui, la Muse lutte avec la fatigue et bien que disposant de temps, j'ai l'impression que j'écris assez lourdement.
    Disons que j'ai un peu le "cerf-volant" ^^.

    Révérence !
     
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    4
    Lundi 2 Février 2009 à 20:21
    Le "cerf-volant"? Jolie pirouette, car j'aimerai bien que le mien soit aussi aérien lorsque je l'accuse de lourdeur :p
    Tes interventions et tes commentaires sont plus que bienvenues, c'est un véritable plaisir de découvrir les émotions que certains de mes écrits ont suscité, et un régal de découvrir de nouvelles pistes de réflexion au gré des tiennes!
    J'ai cru que c'était Noël en découvrant ici tous ces petits messages de ta part, et avec la neige dehors qui tombe sur ma Normandie, cela fait d'autant plus illusion!

    "Une Plume Agile", quel nom flatteur, il a fait naître un grand sourire, et un chaleureux feu intérieur tout comme tes mots élogieux.
    Merci beaucoup ! :)
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