• Vous aussi, j'en suis sûre, vous l'avez rencontré déjà, au moins une fois.
    Il existe dans tout cercle, admiré, illuminant les soirées de sa présence.

     

    A lire avec ... - Yann Tiersen - La chute - ...


    L'homme-Paon

     

    Le voilà. Il entre dans la pièce.

    Les gens discutent, papillonnent... les verres s'entrechoquent au milieu de rires, dans le brouhaha des discussions croisées et de la musique. La fumée de cigarette a envahi les lieux, plongeant ses occupants dans une sorte de brouillard irréel.

    Il entre, donc. Et comme par enchantement, tout s'arrête.

    Le temps semble se figer. Tous les regards se tournent vers lui, tandis qu'il avance, de sa démarche nonchalente, un sourire conquérant aux lèvres.

    Un à un, il nous salue, nous embrasse, une main négligemment posée sur l'épaule. L'air de rien, il nous frôle, sans jamais se départir de son flegme.

    Peu à peu, comme si de rien n'était, les conversations reprennent, l'ambiance festive bat son plein, de nouveau. L'Homme-Paon a fait le tour de sa cour, et déja, les quelques secondes ayant marqué son arrivée sont oubliées, comme si jamais le temps n'avait été suspendu.

    Un martini à la main, je m'esclaffe à une plaisanterie du comique de la soirée, qui semble rassuré d'avoir pu réintégrer son rôle de "pôle attractif" ; non sans jeter un coup d'oeil vers le retardataire tant espéré.

    Celui-ci est assis en belle compagnie, comme il se doit, mais malgré le sourire bienveillant d'un châtelain attentif à sa suite, son esprit semble absorbé dans de toutes autres contemplations.

    Sans avoir le temps de détourner les yeux, son regard croise soudain le mien. Un instant, il me semble déceler dans le sourire qu'il m'adresse, comme un remerciement. Un secret partagé quelques fractions de seconde : au-delà de cette armure sans faille apparente, se dissimule un être simple et même un peu timide, qui s'ennuie des faux-semblants.

    Légèrement bouleversée par cette brève intimité, je m'eclipse discrètement vers la chaîne et me mets en quête d'un peu de musique. Je passe en revue différents albums, et opte finalement pour un "Floyd" première époque, avec le sieur "Barrett" au chant. Alors que je m'apprête à reposer le boîtier après avoir glissé le disque dans le lecteur, une main me frôle et me le prend doucement. Sa main...

    "Très bon choix. Ca fait longtemps que je ne l'ai pas écouté." Avec un sourire, il me tend la pochette du CD, puis reste là, immobile, à me regarder, les mains dans les poches.

    Un peu mal à l'aise, je fais le geste de lui montrer mon verre vide : "Jevais me chercher une bière... Tu en veux une? ".

    " Volontiers.".

    Il m'emboîte le pas jusqu'à la cuisine, dissimulant à peine son amusement devant mon air décontenancé.

    Galant, comme se doit de l'être cet Homme-Paon dans sa pavane, son armure réajustée, il m'ôte des mains les deux bouteilles fraîchement sorties du frigidaire, puis m'en offre une, une fois décapsulée.

    Nous trinquons silencieusement, mes yeux plongés dans les siens.

    Je me sens soudain idiote de cette emprise sous laquelle il me tient, et laisse échapper un léger rire.

    "Qu'est ce qui te fait rire?", me demande-t'il, intrigué.

    "Rien... Les silences me mettent mal à l'aise."

    Je souris, avant d'avaler une longue gorgée de bière glacée, à même le goulot.

    Naturellement, enfin, nous nous mettons à discuter.

    Je lui parle de mon univers, la musique, l'écriture... et de mon désir d'en faire ma vie. Lui n'entend rien aux arts, du moins à leur pratique, mais il est un "contemplatif", c'est ce qu'il dit.

    Il aimerait d'ailleurs beaucoup me lire, ou m'entendre jouer.

    "Et bien, les deux sont possibles! ; lui dis-je ; demain soir je donne un concert, dans une petite salle, et comme mes morceaux sont liés à certains de mes textes, ils seront entrecoupés de lecture."

    Je fouille dans mon sac à la recherche d'un carton d'invitation, que je lui tend.

    "Viens me voir, ça me ferait plaisir. "

    "Je viendrai." .

    Alors que je baisse la tête vers mon sac afin de le refermer, sa main glisse soudain à l'intérieur de mes cheveux, venant saisir ma nuque. Je relève les yeux vers lui, le regarde un instant, et l'embrasse.

    Notre baiser fait naitre en moi des sensations électriques. Il semble qu'une multitude de papillons miniatures s'en viennent effleurer ma colonne vertébrale de leurs membranes aériennes...

    La porte de la cuisine s'ouvre brusquement et quelques personnes font irruption dans la pièce. Ils ne prêtent pas attention à nous, mais la magie est brisée.

    Je lui souris, caresse sa joue du bout des doigts, et sors.

     

    ...

     

    Mes mains s'enfuient sur les touches du piano, dansantes et survoltées, laissant s'échapper des notes allègres et graves à la fois, qui s'en vont se répercuter contre chaque pan de mur alentours, avant de me revenir, sveltes et légères comme les pas d'une fée.

    La voix de Jeanne s'élève de nouveau à mes côtés, psalmodiant mes mots, tandis que j'amorce les arpèges illustrant l'entrée triomphale de "L'Homme-Paon".

    Il s'avance et se révèle aux yeux du public au rythme des cordes martelées par mes doigts enragés.

    Une porte grince au fond de la salle, au moment même où ma lectrice et moi offront à mon idolâtre héros le silence dû à son arrivée...

    Mes yeux se perdent malgré moi en direction de cette porte, par laquelle entre enfin mon invité retardataire, mon invité tant espéré...

    Le public conquis, qui s'est lui aussi retourné dans un élan d'une étrange émulation, voit alors se matérialiser sous ses yeux un personnage devenu réalité.

    Le temps semble se figer, tandis qu'il avance, de sa démarche nonchalente, un sourire légèrement amusé aux lèvres.

    Durant quelques infimes secondes, la salle entière semble subjuguée par sa seule présence, suspendue à ses pas...

    Peu à peu, comme si de rien n'était, le concert reprend son cours. Les spectateurs attentifs s'accrochent de nouveau à mes notes qui s'élevent, d'abord lentes et saccadées - mon regard perdu dans le sien - puis s'envolent -multitude de papillons miniatures aux membranes aériennes - pour ne plus retomber ; jamais.

    ...

    - Tonnerre d'aplaudissements -

    ...

    L'Homme-Paon a fait de moi une reine, cette nuit.

     

    ***

     

    Lully. ©



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  • Il était une fois l'être humain. Celui qui pensait avoir tous les droits, celui qui n'avait pas de cœur, celui qui osait l'impardonnable, qui blessait l'amour qu'on lui donne, quel qu'il soit, sans réfléchir aux conséquences.
    Oui, celui-là même. Si on pouvait nous le raconter, peut-être faudrait-il que ce soit ainsi, peut-être aurait-ce plus de poids, vu par un innocent au cœur pur, qui ne demandait qu'à aimer , et être aimé.


    La Promenade


    Il va revenir. Il me l'a dit.

    "Ne bouge pas. Attend moi là. Je reviens." ; texto.

    Assis sur le bord de la route, j'observe les voitures qui filent à une vitesse improbable les unes après les autres.

    Le soleil tape fort en cette chaude journée d'été et l'herbe de l'autre côté, sous l'ombre des arbres qui s'étend, semble délicieusement tendre.

    Je m'ennuie. Le temps me semble long, et il n'est toujours pas là. Mais il va revenir, je le sais, il me l'a dit.

    Je suis juste un  peu trop  impatient.

    Quand même... Avait-il besoin de déplacer la voiture?

    Non loin de moi, un papillon aux ailes nacrées volette...

    Il s'en vient se poser sur mon nez, et j'ai peine à retenir un éternuement, mais je ne veux pas le faire partir.

    J'essaie de fixer sur lui mon regard mais cela me fait mal aux yeux.

    Désolé petite bête ailée, mais il te faut trouver perchoir ailleurs. Je secoue énergiquement la tête, faisant fuir ce compagnon d'un instant.

    Celui-ci, sans doute vexé, s'éloigne.

    Il s'arrache à ma vue, continuant sa route par-delà les arbres, de l'autre côté.

    Un léger souffle du vent parcourt l'herbe si verte, semblant m'inviter à m'étendre un moment au frais.

    Quel délice cela serait d'aller me plonger au cœur de cette végétation! Me rouler follement dans les hautes herbes puis m'offrir enfin une petite sieste champêtre!

    Mais il va revenir, oui. Il ne devrait plus tarder à présent... Comme le temps me semble long!

    Soupirant, je m’étends plus confortablement sur mon coin de bitume.

    Les nuages jouent à cache-cache avec le soleil, et dessinent des formes imaginaires.

    Tiens, en voilà une qui ressemble à un os, et une autre là! On dirait Tom, le chat du voisin!

    Quel insupportable animal celui- là! On ne peut l'approcher sans risquer un coup de griffe... Pourtant je voudrais juste sympathiser...

    Peu à peu, je sens le sommeil me gagner.

    Ce serait plus confortable de l'autre côté, mais... Si je m'endors plus loin et qu'il ne me voit pas, il risque de s'inquiéter... Je n'ai pas envie de me faire réprimander!

    Après tout, je ne suis pas si mal ici. Il me réveillera à son retour, et ainsi, le temps passera plus vite.

     

    Sursaut...

    Un mauvais rêve m'a éveillé...

    J'étais seul, perdu dans l'obscurité insondable d'une interminable forêt.

    Doucement, j'ouvre les yeux. Je dois dormir encore... car il fait sombre.

    Pourtant, non. Je suis bien réveillé : le bitume, les voitures qui déambulent, les arbres en face... Tout est là.

    Seule la lune a remplacé le soleil, là haut dans les cieux...

    Où est-il? Il m'a dit qu'il revenait... Il revient toujours.

    J'ai faim maintenant. Soif aussi. Il ne va plus tarder.

    Il verra que je l'ai attendu, sagement, comme il me l'a demandé.

    D'habitude, c'est au parc qu'il m'emmène. Nous courrons ensemble, plongeons parfois dans le lac, faisant fuir les familles de canards qui paressent là, sur les eaux.

    Parfois, comme aujourd'hui, il part. Me demande de l'attendre, surtout de ne pas bouger.

    Quelquefois il met longtemps à revenir. A son retour, je vois qu'il a pleuré.

    Je me demande pourquoi... Mais très vite, j'oublie. Il me prend dans ses bras et me murmure à l'oreille : "Allez, on rentre à la maison." Et nous sommes bien.

     

    Il est tard... Les voitures ont allumé leurs phares.

    Personne ne semble prêter attention à moi.

    Le vent du soir souffle plus fort, et j'ai froid.

    Pourquoi n'arrive t'il pas?

    Je vais traverser. Aller m'allonger sous les arbres...

    Et j'attendrai, encore. Car il va revenir, il me l'a dit.

    Et il revient toujours ... mon maître.

     

    ***

     

     

    Lully. ©



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