• Une courte nouvelle sur le thème de la paranoïa qui mène à la folie la plus complète.
    Comment ne pas se perdre dans les méandres de sa propre pensée?!

     

    Sombre


    L’isolement peut être salvateur…

    La folie s’empare peu à peu de mon âme, je la sens qui rôde, prête à me dévorer tout entier, elle est là, tapie dans l’ombre, réfugiée dans la moindre parcelle qui m’entoure…

    Cette ampoule, qui clignote, sur le point de s’éteindre à tout moment…c’est elle !

    Le vent, sinistre, qui s’engouffre sous ma porte, sifflant sa complainte de mort…c’est elle !

    Le robinet qui goutte, plic-ploc, plic-ploc…sans cesse…c’est elle encore !

    Elle me guette, sans relâche, fauve assoiffé de sang…

    J’ai mis de l’ordre dans mes affaires…J’ai écrit quelques lettres…pour le cas où…ils ne me retrouveraient pas…

    Un bruit derrière la porte…c’est elle ! Elle vient me chercher !

    Mais qu’attend-elle ? Prend-elle donc plaisir à me laisser ronger par l’angoisse ?

    Nous sommes reliés l’un à l’autre par un imperceptible fil…elle me tiens, je suis à sa merci, animal effrayé et soumis, suspendu à ses chaînes…

    Pourquoi Diable n’ai-je donc pas prêté attention aux avertissements ? Les signes étaient clairs pourtant…

    Je me couche… Même mon lit semble un gouffre dans le quel je m’enfonce…Le matelas vieux et défoncé grince à chaque mouvement…

    Je suis tellement épuisé…mais, il ne faut pas dormir…surtout pas dormir… Le sommeil ferait de moi une proie tellement plus vulnérable…

    Un…

    Deux…

    Trois…

    Quatre…

    Non !... rien ne vient !

    Je sens mes paupières s’alourdir…

    Sursaut !...

    Je suis toujours vivant…

    Mon cœur fait de tels bonds qu’il semble vouloir s’envoler hors de ma poitrine…

    Ô Dieu ! Où se trouve la délivrance ?

    4H13 sur le réveil… Le jour ne se lèvera- t’il donc jamais ?

    Des pas dans le couloir…Pas de panique…sûrement la petite voisine qui rentre d’une de ses habituelles nuits de débauche…

    J’entends une respiration rauque, et saccadée…elle se rapproche avec les pas…

    Plus rien…

    Je ne les ai pas entendu dépasser le seuil d’entrée…

    Sursaut !...un bruit assourdissant ! Ma porte vient de voler en éclats !

    Pris de terreur, je m’assoies d’un bond au milieu de mon lit, ma couette enroulée autour de moi pour seul bouclier…

    Quelqu’un aurait du surgir…mais le couloir est plongé dans une obscurité opaque…et rien ne bouge…

    Soudain ! cette respiration rauque ! tout près de moi…Mais…Il n’y a personne !!

    Ca se rapproche !

    Mon Dieu ! Je sens la moiteur fétide du souffle sur mon visage !!

    « Dring ! Dring ! » Le téléphone !! J’hurle comme un dément !

    Que tout s’arrête…il faut que tout s’arrête !...je…non !...Ahhhhhhhhh !!

    Je ne contrôle plus mon corps…

    Ma main s’en va, tâtonnant, fébrile, sous mon matelas, sans que je puisse l’en empêcher…

    Elle se saisit d’un revolver… seule, elle mène à présent la danse, l’enfonce au fond de ma gorge…

    Le canon est froid contre ma langue… un goût de métal mêlé de poussière envahit ma bouche…

    Détonation… la délivrance promise !

    Je suis mort.

    Tout est calme.

    Paisible, silencieux…

    Adieu.

     

    ***

     

     

    Lully. ©



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  •  Datant de 2004, cette nouvelle a marqué un tournant dans mon écriture, elle reste au jour d'aujourd'hui la plus chère à mon coeur, et j'espère que vous l'apprécierez autant que j'ai aimé l'écrire.

     

    A lire avec ... - Lisa Gerrard - Sanvean : I'm your Shadow - ...

     

    Le dernier jour

     

     

    « J’aimerais que l’on mette cette chanson à mon enterrement. »

    C’est ce qu’elle m’a dit, la toute première fois.

    J’étais allongée, sa tête sur ma poitrine, mes doigts démêlant ses cheveux. Elle tenait encore à la main la télécommande de la chaîne.

    « J’aimerais que l’on mette cette chanson à mon enterrement. Fort. »

    Des baffles s’élevait une voix irréelle et sans âge, une voix qui avait toujours éveillé en moi les sentiments les plus troublants, une voix qui venait empoigner mes entrailles pour les tordre délicieusement ; douloureusement…

    Sa main, timidement, parcourait mon ventre.

    Je ne disais mot. Qu’y avait-il à dire ?

    Je me sentais moi-même irréelle et sans âge, comme si cette nuit avait à elle seule annihilé l’emprise du temps, sur moi.

    Je venais à la fois de mourir, de renaître, et pourtant, quelque part,  j’étais toujours la même (enfin moi-même ?).

    Elle s’étira, en émettant une sorte de ronronnement, puis tourna son regard vers moi, une lueur espiègle dans les yeux.

    « Ca va ? », demanda – t- elle, avec un petit rire.

    Je lui souris, sans répondre.

    Mon regard tomba sur ses lèvres et je sentis aussitôt l’envie de leur contact. Elles étaient douces et charnues, délicieusement sucrées, tout comme sa peau. Un feu étrange consumait mon ventre.

     ***

    Il est 10h00. Les draps sont encore froissés d’une nuit agitée. Le soleil hivernal attarde ses rayons sur le miroir. Mon corps est encore engourdi de sommeil.

    Je me lève, détendue, et flâne un instant à la fenêtre, à observer le vent dans les arbres, la rumeur tranquille des quelques passants emmitouflés dans leurs manteaux.

    Paresseusement, je tourne les pages d’un vieux carnet abandonné sur la table, mon thé fumant posé tout à côté.

    Je relis quelques lignes, de ces mots écrits à deux, d’autres matins similaires à celui-ci.

    Il fait bon, je me sens bien. C’est un de ces matins où tout semble harmonieux, à sa place. La sérénité ? Je crois bien que c’est ça.

    Je n’ai rien à faire. J’ai tout mon temps, pour penser ; errer ; fumer ; rire ; pleurer ; planer ; me souvenir…Mais par quoi commencer ?

    Je souris : aucune importance.

    Il est 12h00. Le siphon avale dans un tourbillon le reste de l’eau.

    La peau de mes mains est toute fripée, une heure et demie à rêvasser dans mon bain, c’est bien normal… Du moins, j’aime à croire que c’en est la raison.

    J’enfile à la hâte mes vêtements, arrange mes cheveux…Humm, pas mal !

    Je sors de la pièce, juste à temps pour entendre l’alarme du four.

    « Apocalypse », de Mahavishnu Orchestra, le repas prêt, tout est parfait.

     ***

    « Je t’aime », me dit-elle, son visage au-dessus du mien.

    Ses cheveux me chatouillent, je ris.

    « Tu ne veux pas qu’on sorte ? On pourrait prendre le train, faire un tour à Paris, ça fait longtemps… ».

    « Non… Je suis bien au lit. J’ai envie de traîner, pas toi ? ».

    Elle soupire. « Ok ».

     ***

    Il est 16h00. Je m’éveille lentement. Le ciel s’assombrit déjà.

    Ma main s’en va caresser la place à côté de moi, mais ne rencontre que les draps qui semblent avoir été le terrain d’une longue bataille. J’allume une cigarette, aspire et expire la fumée, tout en jouant à dessiner des formes qui s’élèvent vers le plafond.

    Tantôt rondes et épaisses, tantôt presque invisibles, ces arabesques insaisissables s’enfuient hors de ma bouche.

     ***

    « J’aimerais que l’on mette cette chanson à mon enterrement. »

    De toutes ses phrases, c’est celle-ci qui me revient, continuellement, et aujourd’hui plus fort encore.

    C’était la première fois que l’on s’abandonnait l’une à l’autre.

    La première fois que je m’abandonnais aux bras d’une femme.

    La première fois que je m’abandonnais vraiment, je crois.

    Aucune de nous deux n’avait encore parlé. Elle avait seulement lancé le morceau, avant de se blottir à nouveau contre moi.

    Je sentais son souffle sur mon sein, dans la douce moiteur d’après nos ébats.

    Et elle avait jeté ces mots, comme ça, d’une voix sans expression, calmement.

    C’était si singulier !

     ***

    Il est 17h00. Je l’appelle.

    « C’est moi. Viens à la maison demain, vers 18h00.

    Ma fille sera là, d’accord ? Je t’embrasse. ».

    Un verre de vodka violette à la main, je laisse s’insinuer en moi les envolées lyriques de la divine Lisa Gerrard. « Sanvean : I’m your shadow » ; le morceau de ce matin là. Le morceau de tant d’autres instants…

    Toujours cette main qui m’empoigne les tripes, douloureusement ; délicieusement.

    20h00. Je me suis assoupie… Une boule de poils grise ronronne amoureusement sur mes genoux.

    Je la soulève dans mes bras, jusqu’à la table de la cuisine où l’attend son repas. Rien pour moi ce soir, je n’ai pas faim.

    La sonnerie du téléphone me tire soudain de ma torpeur. Sûrement Léa…

    20h15. Je m’assoies à la table, un stylo et deux feuilles devant moi. Sans avoir besoin de réfléchir, les mots s’enchaînent d’eux-mêmes sur le papier, longtemps, longtemps.

    J’ouvre un tiroir pour y prendre deux enveloppes, dans lesquelles je glisse des feuilles à présent noircies d’encre.

    Je les dépose côte à côte sur la table de la cuisine, caresse le chat, puis éteint les lumières.

    ***

    18h15. Je suis en retard, comme toujours. Mais elle me connaît, tout ira bien.

    Cela fait longtemps que l’on ne s’est pas vues, j’ai tant de choses à lui dire !

    Ah ! Deux vieilles amantes qui se retrouvent…c’est presque comique!

    Et je vais enfin rencontrer Léa, c’est bien.

    Je sonne. Il fait froid. C’est étrange de se trouver à nouveau là…

    La clenche s’abaisse, la porte s’ouvre.

    Je reste stupéfiée devant ce que je vois : Blanche est là, devant moi, elle a trente ans, quarante peut-être, de nouveau.

    Un flot de souvenirs m’assaille ; immobile, je ne suis plus vraiment là.

    « Anne ? ». La voix me ramène à la réalité.

    Gênée, je m’apprête à sourire à cette jeune femme qui n’est autre que Léa, quand j’aperçois l’expression de son visage.

    Les yeux rougis et gonflés, les traits terriblement tirés, je comprends.

    Elle se jette dans mes bras dans une explosion de sanglots…

     ***

    Elle s’en est allée durant la nuit, sûrement au beau milieu d’un rêve. Ca lui ressemble.

    Elle a toujours fait les choses à sa manière, paisiblement. Mourir aussi.

    Sur la table, deux lettres, une à Léa, l’autre à moi. Elle savait qu’elle ne se réveillerait pas.

    Je m’assoies à ses côtés sur le lit, elle semble bien.

    Je caresse ses cheveux, ses longs cheveux devenus blancs.

    Sa lettre est simple, et belle. Elle y parle de nous, de moi, mais les mots se troublent derrière mes larmes.

    Une douleur indicible m’enserre le cœur, à la lecture de cette dernière phrase :

    « J’aimerais que l’on mette cette chanson à mon enterrement. Tu sais laquelle. Fort. ».

     

    ***

     

     

    Lully.©



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