• Deuxième extrait

     La suite, écrite cette nuit.
    1209 petits mots supplémentaires.
    Compteur à 2290. J'avance à tous petits pas... Mais j'avance.




    Rotomagus – Vendredi Sept Novembre - An Deux-Mille-Huit -

    Trois heures et trente neuf minutes précisément.



    « Paf ! »

    « Hummph Oh Non ! ». 

    Il y a parfois des habitudes dont on aimerait aisément pouvoir se défaire. 

    Comme chaque nuit depuis déjà deux Lunes, Oni s'éveilla en sursaut. 

    Elle consulta la belle montre gousset d'argent qui pendait depuis une chaîne aux fins maillons incrustés de pierres précieuses multicolores, elle-même accrochée à la poignée de la petite porte de sa lanterne. 

    Avec une moue de lassitude mêlée de douleur, elle se frottait doucement le sommet du crâne, là où elle s'était cognée en s'asseyant d'un bond. 

    Écartant d'une main le rideau d'organza aux teintes chatoyantes de pourpre et de mauve, Oni s'assit sur le rebord, laissant pendre ses jambes fluettes qu'elle balançait d'un air pensif. 

    « Humm... Pour une fois au moins, j'n'ai pas touché le sol... A croire qu’inconsciemment j'ai du développer un système anti-chute pendant mon sommeil, Hihi ! ». 

    Prenant une pose plus confortable, la petite fée bâillait, l'esprit encore ensommeillé, et laissait aller ses pensées vers le rêve qui l'avait habitée cette nuit, des plus étranges, une fois de plus. 

    Seules lui revenaient de vagues images, dansant entre elles un ballet moribond, disharmonieux tant qu’arythmique et qui semblait dénué de sens, comme issu de l'imaginaire malade d'un bien piètre chorégraphe. 

    Une sensation étrange lui pesait encore, chargeant l'atmosphère d'une sorte d'angoisse latente, comme une impression fugitive d'avoir été entraînée contre son gré dans les pensées d'un autre, prisonnière d'une main traçant pour elle des pas forcés, vers des chemins escarpés à la pratique peu sûre. 

    « Pfff...Tout ça n'a vraiment aucun sens. Je suis peut-être simplement angoissée à l'approche du quinzième éon... Et puis, Mère m'avait prévenue que quand la Mana commencerait à affluer en moi, je ressentirai probablement quelques perturbations... Oui. Ce doit être cela... ».

    Rassurée, Oni consulta de nouveau l'heure au cadran de sa montre-gousset, et, poussant un soupir de satisfaction à l'idée qu'il lui restait quelques heures pendant lesquelles elle pourrait encore paresser, elle s'enveloppa de la chaude et douce couverture en plumes et duvet d'Alcyon, dont étaient reconnues les propriétés bienfaisantes pour l'amour et les rêves, qu'avait tissé pour elle seule Menya, le plus grand tisseran du Royaume, lorsqu'elle lui avait confié un soir de bavardages qu'elle dormait mal depuis quelques temps.

    En effet, Oni était une enfant choyée, bien-aimée de ces concitoyens pour son caractère étrange, à la fois douce et abrupte, enjouée ou bougonne, mystérieuse et intrigante, tant par son charisme et sa beauté incomparables que par ses humeurs détonantes.

    La tête profondément enfouie dans ses oreillers, bercée par l'hypnotique tic-tac de la petite montre, la jeune Oni ne tarda pas à sombrer au cœur d'un paisible et profond sommeil sans rêve aucun, enfin.



    Il était à présent cinq heures précises et déjà, on s'éveillait au palais.

    Ça et là commençaient à s'agiter servantes et domestiques, dépoussiérant le moindre recoin, faisant briller salles et couloirs du sol au plafond, décrochant les rideaux de soie, de satin et d'organza aux teintes miroitantes des hautes fenêtre aux bois précieux dont chaque vitrail étincelait de mille feux, les brossant vigoureusement afin de les replacer enfin, les tissus ondulant avec nonchalance comme défiant la poussière de venir s'y déposer.

    Là en bas, dans les entrailles caverneuses du sublime édifice, les fours crachaient déjà leurs braises ardentes, faisant régner dans les cuisines pourtant toujours immaculées une chaleur suffocante probablement comparable à celle des Enfers, où trottaient, survoltés, les petits maîtres-queux chargés d'ingrédients, de plateaux d'or et d'argent emplis de mets plus superbes et savoureux les uns que les autres, et se bousculant au cœur d'une nuée opaque aux senteurs enivrantes qui s'échappaient, furtives, par l'ouverture d'un soupirail et fuyant vers les hauteurs, venaient, impalpables et alléchantes, s'insinuer jusqu'aux nez les plus fins.

    Dans chaque chambre, on tendait sur les couches ovales de superbes tissus, on malmenait chaque oreiller afin de lui redonner le moelleux des premiers jours, et les fenêtres aux panneaux de bois gigantesques s'entrebâillaient, invitant à entrer pour un instant encore, quelques rayons de lune et l'air vivifiant d'une aube qui s'avance en catimini, mais n'est guère encore là.

     

    Chaque jour, la danse ouvrière de ces milles petites fourmis de l'ombre dont le rôle était pourtant d'une importance capitale, s'effectuait en sauts de carpe et entrechats, dans un silence presque religieux, et l'on apprêtait le palais des caves au grenier, à pas feutrés, afin de ne jamais, au grand jamais éveiller de leur douce transe les demeurant de la Haute qui sans aucun doute, avaient comme chaque nuit du festoyer jusque bien tard.

    Mais depuis presque une lune déjà, c'était avec plus de minutie encore, d'acharnement et de précision soignée que le majestueux sérail était rehaussé de ses plus beaux atours.

    En effet, voilà que l’on approchait à grand pas de l'un des plus éminents gala qui s'y organisaient chaque année...

    Depuis des temps immémoriaux, à la veille du Solstice d'Hiver  celui-ci prenant effet chez le Petit Peuple, pour d'obscures et ancestrales raisons restées, même pour moi, méconnues, en date du Treizième jour de Novembre, à Minuit précises - éminents personnages et peuples réunifiés accouraient au palais princier afin d'y célébrer le Quinzième Éon des jeunes damoiseaux et damoiselles de la Cour.

    Ce jour, dans l'éternité d'un être magique, et, d'autant plus s'il appartenait à la caste des Fées et Pixies, s'avérait être celui qui aurait, à jamais, la plus grande des importances, pour la simple raison qu'à la seconde même où s'élèverait la nouvelle ère d'un pâle hiver, et par le biais d'une cérémonie rituelle dont la pratique était connue des seules Dalreï, puissantes sorcières de mères en filles au savoir ancestral détenant l'incroyable capacité de canaliser l'instable Mana, source de tout pouvoir , celles ci transmettraient aux jeunes profanes la charge arcanique qui déterminerait pour jamais l'éventail de leur savoir magique, et les créatures ailées déploieraient alors pour la toute premières fois leurs élytres multicolores et chitineux, dans un vol magistral d'une beauté élégiaque...

    ***

    Rouen – Vendredi Sept Novembre - An Deux-Mille-Huit - Midi.



    Bâillant à m'en décrocher la mâchoire, c'est paisible, sereine et ragaillardie que je m'éveille dans un joyeux ballet d'étirements.

    Il est midi, et je souris de ma paresse, cela faisait si longtemps que ce ne m'était arrivé!

    J'ai l'impression d'avoir dormi des jours et d'émerger enfin d'une longue léthargie, rassérénée par un sommeil aux rêves séraphiques dont les échappées s'envolent déjà au loin, là où je ne saurai les rattraper.

    Comme chaque nuit depuis ... (non, je ne veux pas y songer.), mon inertie nocturne aura pris fin dans un douloureux sursaut au même, irrémédiable et fatidique instant où mon réveil affiche, figé, ces trois heures et trente neuf minutes précises.

    Mais, une fois n'est pas coutume, après quelques minutes d'angoisse latente à m'étendre sur ces sempiternelles questions quant à ma ponctuelle apnée du sommeil, je ne sais comment , ni pourquoi, mais j'ai senti ma conscience s'apaiser, et au lieu de m'enfuir en divagations, en place de faire courir ma plume sur le papier, ma couette multicolore en duvet soyeux s'est faite la douce confidente d'une agréable apathie, en laquelle j'ai plongé sans retenue, pour finalement y éteindre mes pensées dans une profonde narcose sans cauchemar aucun, enfin.




    Lully. ©


     


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