• Voici une histoire entre deux êtres étranges dont l'amour triomphe, au-delà de leur différence.
    Ce dialogue est né, porté par la musique que j'écoutais alors, la splendide bande originale du film Old Boy, de Park Chan-Wook, qui à mes yeux est un véritable chef-d'œuvre.
    Si le cœur vous en dit, je vous conseille d'accompagner votre lecture de ce texte par l'écoute de ces trois morceaux à la suite les uns des autres (pistes 20 à 22) : Kiss me Deadly ; Point Blank ; Farewell,my Lovely, afin de vous plonger dans l'atmosphère qui m'inspira alors cette courte histoire.

    Ne les ayant pas encore trouvé en lien, voici  The Last Waltz , tiré de la même Bande Originale, qui pourra accompagner votre lecture, à défaut des autres morceaux.

     

    (Ici, le Chant II .)

     

    Sillah et l'Aimé - Chant I

     

    - Sillah? Où es-tu?

    -Je suis là. Près de toi.

    Je te sens.

    -Où es-tu? Je n'y vois pas...

    Je suis seul?

    -La lumière, là-bas, au Nord...

    -Tu es là?

    -Je suis là...

    Sors de l'obscurité... Tâtonnes, puises-en toi...

    -J'ai si peur... Je n'y vois pas!

    Il n'y a plus de lumière, en moi...

    - ...

    - Sillah? où es-tu?

    -Près de toi mon aimé...

    -Sillah? Tu es là...

    - Je suis là.... Je tiens ta main...

    -J'ai si froid, si froid...

    Je ne te sens pas...

    ...

    Il pleut?

    -Non. Non, mon amour.

    Il ne pleut pas...

    -Je sens...encore un peu...

    Quelques gouttes sur ma main...

    ...

    Sillah... Tu pleures?

    -Quelques larmes, seulement quelques larmes...

    Ne t'en fais pas.

    ...

    -Je m'éteins... Sillah, éclaire-moi...

    Encore un peu...

    -Mes lueurs t'entourent, mon aimé...

    Ouvre les yeux...

    -Mes yeux sont ouverts... Mais...

    Je n'y vois plus... Je ne te sens presque plus...

    Seulement l'obscurité, et le froid, oh! un tel froid...

    ...

    La Mort m'étreint Sillah... Pardonne-moi...

    -... Il n'y a rien à pardonner...

    -Adieu... Sillah... Je t'ai... tant aimée...

    -...

    Ne pleure pas...

    Quand tes yeux s'ouvriront de nouveau... Ne pleure pas...

    Là... Endors-toi... mon amour...

    ...

    -...

    -...

     

     

    A la lune montante...

    Loin, au nord, L'Aimé ouvrit les yeux.

    Blottie contre lui, une très jeune elfe semblait dormir...

    Un sourire se dessinait sur ses lèvres pâles, mais la lueur qui émanait d'elle ne vascillait qu'à peine, à présent...

    Alors, il comprit.

    Il comprit que dans ses cauchemars, en proie à la folie, il avait mortellement blessé cet être de lumière...

    Elle qui, jusqu'au bout, alors qu'il se croyait, lui, mourrant, l'avait veillé...

    Sillah, de toute son âme, avait brillé pour lui, calmant son angoisse...

    Ses larmes laissaient sur sa peau la trace rougeoyante du don de sa vie.

    Il voulut hurler, crier sa rage, sa douleur et sa honte au monde entier...

    Seulement, alors, il se rappela sa demande... "Ne pleure pas... Quand tes yeux s'ouvriront de nouveau... Ne pleure pas..."

    Taisant son chagrin à son corps, il berça doucement sa belle contre lui...

    Elle frissonna, presque imperceptiblement.

    Chuchotant à son oreille :

     

    -Sillah... ma douce... Oh!

    Pardonne-moi...

    Je ne peux te guérir...

    Si seulement...

     

    D'une voix aussi douce qu'un murmure du vent :

     

    -Mon amour... Ne pleure pas...

    Vivre... Ou Mourrir, pour toi...

    Rien n'était plus beau...

    C'est tout ce que je désirais...

    ...

     

    La dernière lueur vacilla, comme le souffle d'un enfant, sur une flamme mourante...

    Une étoile, haut dans les cieux, d'un coup, se détacha; un instant, virevolta, comme une dernière danse, son au-revoir à la nuit éternelle...

    La chute enfin...Et le silence...

    Au loin l'Aimé, déjà, s'en va retrouver à jamais son obscurité...

    Dans son coeur de démon, une entaille : l'amour de la lumière sacrée.

     

    ***

     

     

    Lully. ©



    2 commentaires
  • No comment, de ma part en tous cas. Le texte parlera de lui-même!
    Et ceux qui sont déjà passé par une période de transition comprendront, enfin, je l'espère! :)


    En Chantier   


    - Tu es déjà venu ici?

    - Si loin jamais, non.

    Putain! Vise un peu ça! Ces foutus ouvriers ont tout laissé en plan...

    - Ouais... Sacré champ de bataille, on est en plein cœur là.

    - P'tain on dirait qu'on a fait péter une bombe tellement c'est le foutoir... C'est dommage... Ca a de quoi être beau, tout  ça...

    - Hey... Je pense à un truc... C'est fou, un peu mais... Pourquoi on n’essaierait pas d'en faire quelque chose? Y a tout ce qu'il faut... Ils ont même abandonné leur matos.

    - Toi et moi?

    - Ouais... Juste toi et moi... Peu à peu, à notre rythme. Ce sera notre secret, notre caverne à nous... Ici on pourra tout enfouir, et tout vivre...

    T'en pense quoi?

    - J'en pense qu'on va avoir du taf... Mais qu'ici... C'est un peu comme s'il y avait une âme... Laissons-la grandir, s'épanouir... Ouais!

    - Elle et nous, on va créer le nirvana!

    - Le nirvana, ouais... T'as raison!

     

    « J'ai froid. Je me sens toute nue au milieu du désert. Loin de tout, abandonnée.

    Dévastée. Un terrain vague pour oubliés, où qui veut vient se réfugier.

    L'exutoire pour passions inavouées, qu'on peut bien abîmer sans culpabiliser.

    En chantier.

    En vrac, comme une œuvre inachevée qu'on aurait mise de côté, trop longtemps.

    Un peu fanée, un peu desséchée.

    Mes cris s'enfuient et rebondissent sur des murs de silence qui me renvoient leur écho.
    Là, au cœur, quelqu'un est venu fouiller. Quelqu'un qui a vu que se dissimulait encore la lueur d'une étoile.

    De son doigt, il a écarté les gravats. Explorateur, il a creusé si loin qu'il a ouvert une piste, dégagé un chemin.

    Une place vide, ouverte, se révèle. Toute encore entourée de barrières.

    Non loin, on commence à briser les fondations usées, bancales, qui menaçaient de s'effondrer.

    La bétonneuse est prête, elle attend que l'on veuille bien y couler enfin un nouveau ciment. »

     

    - Tu crois que des gens se sont aimés? Ici?

    - Je ne sais pas. Probablement.

    - Ils étaient sûrement trop perdus...

    - Hein? Comment ça?

    - Regarde autour de toi... Tu ne vois pas? On ne peut pas décemment s'aimer sous un tertre effondré...

    Il faut être au moins un peu errant, comme nous, pour venir ici...

    - Peut-être, mais nous, nous sommes là pour construire. Nous allons réparer.

    - C'est vrai... Mais qu’étions- nous avant de le décider?

    - ... Perdus ... J'avoue. Mais plus maintenant. Nous nous sommes trouvé un sens vers lequel avancer...

    - Ouais. Qu’est- ce qu'on attend alors? Allons- y !

    - T'as raison ! Commençons par briser ces barrières!

     

    « Sous les frondaisons d'un arbre esseulé, là, ils ont commencé à creuser.

    Je ne sais quel trésor caché ils voulaient déterrer...

    J'ai senti mon cœur palpiter, on s'en vient piller mon intimité. Quels secrets encore inavoués vais-je devoir affronter, révéler à moi-même, et aux yeux de ces autres ?

    Ai-je seulement la force de résister? Je voudrais m'enfuir, je voudrais m'évanouir, dissoudre la douleur.

    Que l'on me laisse désagréger ici, la poussière et les feuilles venant pleuvoir et tout recouvrir.

    Mais il est déjà trop tard, les travaux ont repris, je m'en vais faire peau neuve.

    Peu à peu je sens les barrières se craqueler, ça fait mal. Etrange sensation d'être effeuillée, à chaque couche ôtée, vais- je sentir enfin? Un peu? Beaucoup?

    Là encore la sève a séché, couvrant le cœur de ce que je suis, protégeant l'essence à venir.

    Doucement, lentement, il faut gratter pour voir sous la couleur blafarde, le carmin de la vie se révéler, sans le mettre à vif.

    Blessée je suis, mais pas agonisante.

    Je sens approcher l'évasion, me parcourir le frisson.

    On m'insuffle un souffle nouveau.

    Déjà je sens la flèche de l'émoi me mordre au corps ... Passionnément? A la Folie?

    A la folie... A elle, l’exaltante, la survoltée, je veux bien de nouveau porter mes lèvres au nectar que l'on m'offre, et trinquer. »

     

    - Faisons une pause, tu veux?

    - Oh oui... Tu bois quelque chose?

    - Ok. A quoi buvons-nous?

    - A la vérité!

    - Hein?

    - Oui! A la vérité! A celle que nous sommes en train de pénétrer...

    Regarde! Tout a déjà changé ici... Regarde toute cette beauté qui se révèle à nous!

    Il a vécu ce lieu. Il a eu son lot de batailles, pourtant il avait presque fini par céder.

    - Tu sais pourquoi?

    C'était plus simple. C'est si facile de se laisser choir, de se ternir. Briller ça demande tellement d'efforts.

    - Oui, mais l'œuvre est en marche à présent. Je ne laisserai pas tomber!

    - Moi non plus, rassure toi. Il est trop tard pour reculer.

    - On y retourne?

     

    « Avec leurs mots et leur vouloir, ils mettent à vif les plaies mal cicatrisées...

    La douleur perle, fine gouttelette, mais il est bon la ressentir.

    A présent, tout vaut mieux que ce néant, ce chaos où je m'étais plongée.

    Le silence a cessé, je sens la vie revenir avec ses bruissements, son brouhaha qui résonne, là, juste au creux de moi.

    Je suis assourdie par ce flot de maux qui rejaillit, j'ai peine à différencier les voies, mais une semble se distinguer pourtant.

    Elle murmure, tout bas, la douceur à venir, une quiétude oubliée. Elle porte un nom je crois, mais je l'ignore encore.

    Les murs se brisent, à coup d'éclats l'on me perce, tout s'agite.

    Je sens là la morsure d'un sentiment qui naît, mais qui se terre pourtant.

    Au loin la lumière point, avec lui. Elle s'immisce entre les failles, elle se fraie un chemin.

    Là où elle croît, déjà des bourgeons viennent.

    Bientôt, elle inondera la place vide en moi, et des arbres pousseront, leurs branches s'élèveront.

    La sève les parcourra, feu intense aux milles reflets.

    Et l'on verra enfin, pour la première fois, une terre avancer, s'élargir, se parer, de tout ce que le monde offre et que je refusais. »

     

    - Tu imagines ... C'est un havre que nous créons.

    - Un palais. C'est bien plus riche encore.

    Tant de possibilités. On pourra y venir pour rire, pour danser.

    - S'y aimer, y pleurer. Rêver.

    - Je le rénove pour toi, tu sais.

    Ici nous trouverons la paix, la lumière.

    - Le repos des guerriers...

     

    « Bientôt, je serais belle.

    Je t'offrirai mes bras, toi, qui a balayé mes peurs irraisonnées, et déniché la clé de cette cage dorée.

    Bientôt, je serais libre.

    Je serais le cours d'eau où tu peux t'abreuver, où noyer à jamais tes peines et tes secrets.

    Bientôt je serais celle,

    Encore dissimulée, qui s'éveille, enchantée.

    Tu viendras, peut-être, reposé, au creux de moi, et l'on pourra s'aimer.

    Pour l’heure, anamorphosée, je m’en viens faire ma mue. »

     

    ***

     

    Lully. ©



    votre commentaire
  • A mon Papa,
    Pour dire l'amour que je tais trop souvent, les distances que je ne sais franchir, la complicité que je sens enfouie sous une timidité pourtant infondée.
    A mon alter ego, qui m'a créée à son image et fait de moi la personne que je suis.
    Entre un père et sa fille, il y a cette étincelle à nulle autre pareil, combien j'aime quand je la sens s'illuminer!

     

    A lire avec ... - Yann Tiersen - Summer 78 - ...

     

    La pierre.

     

    Elle est encore venue aujourd’hui...

    J'avoue que je la guettais.

    J'observais les rares passants, par cet après-midi gris et pluvieux, à l'affut du moindre signe d'elle.

    Et puis je l'ai vue... Marchant d'un pas tranquille.

    Elle s'est agenouillée, paisiblement, s'installant sur le sol, et face à la pierre elle souriait. Le regard un peu vague.

    Longtemps elle est restée silencieuse, et j'ai pu l'observer tout à loisir.

    Aujourd’hui, elle portait un ample pull rayé  de jaune et de noir, un pantalon beaucoup trop grand pour elle, et sa veste de laine légèrement déguenillée balayait  les poussières.

    Elle avait piqué, au creux de ses courts cheveux noirs toujours en bataille, une fleur cueillie là sur le chemin, et la seule mèche longue qui subsistait dans sa coiffure "ailes de corbeau" venait couvrir son visage, poussée par le vent.

    D'un geste agacé mais pas vraiment, elle la repoussait sans cesse, tout en laissant errer ses yeux vers les secrets du monde.

    Et puis enfin, elle soupira.

    Fixant toujours la pierre, comme si je m'y trouvais, elle se mit à parler.

    "Bon. Papa. Ca y est. Je crois que je vais partir."

    Un long silence lourd de tristesse accueillit cette première phrase.

    J'attendais seulement qu'elle continue.

    "Je crois que je ne reviendrai plus.

    [...]

    Pfff... Tu sais, c'est dur. Je suis là, je te parle, et je suis tellement seule. Tu n'es pas là pour m'écouter. L'as-tu jamais été?"

    Elle détourne le regard, l'air terriblement adulte, terriblement puissante, terriblement abîmée, aussi.

    " A quoi bon continuer ainsi. Quoi que je fasse tu ne me diras jamais si c'est bien ou si c'est mal. Tu ne guideras pas mes pas... Je ne suis même pas sûre que tu m'écoutes, là.

    Alors je suis venue te dire au revoir, papa. Je t'ai toujours aimé. Mais j'ai décidé de tourner la page. J'ai décidé de vivre sans toi, comme tu l'as fait, déjà.

    Tu es parti toi... Tu ne m'as pas laissé le choix, pas demandé mon avis. Tu ne t'es jamais demandé si je n’étais pas une fille comme les autres, qui elle aussi avait besoin d'un père, d'un guide.

    T'es tu seulement demandé si je n'allais pas souffrir de ton absence?!"

     

    Je la vois qui lutte, qui bataille, contre le feu salé qui menace d'envahir ses yeux.

    J'aimerai tendre la main. Caresser sa joue. Lui dire que je suis là... C'est juste que...

    Aller vers elle. Mais non. C'est trop tard. A quoi bon?

    Ma main retombe, pantelante, au bout de ce bras qui voudrait l'enlacer, mais qui ne peut pas. Non.

    " Au revoir Papa. Quoi que tu penses, je ne t'en veux plus. J'ai appris à te pardonner.

    Et désormais je veux exister. Vraiment.

    [...]

    Je t'aime. Au revoir. Je penserai à toi, parfois."

     

    Et je l'ai vu se lever, difficilement, comme si ses jambes vacillaient, sous le poids d'une trop lourde charge qu'elle avait voulu venir déposer à mes pieds, mais qu'elle emportait encore, malgré elle.

    Elle s'est retournée, lentement, et est restée immobile, dos à moi, avant de finalement lancer ses pas droit devant, droit au loin, loin de moi.

    Longtemps, elle a lutté contre l'envie de se retourner pour jeter un dernier regard.

    Puis elle a disparu, là-bas, derrière le muret grisâtre du cimetière.

     

    Pendant de nombreuses années, je suis revenu tous les jours.

    J'espérais qu'elle reviendrait.

    Mais les saisons avaient beau se succéder, jamais elles ne m'ont apporté un souffle d'elle.

    Alors, moi aussi, je suis parti.

    J'ai découvert beaucoup de lieux, j'ai observé la foule dans mille rues, et j'ai soigné mon manque d'elle.

    J'ai flotté sur bien des océans, j'ai goûté la couleur du sang, trop de fois, trop longtemps. Mais souvent, j'ai entendu les musiques, qui dans chaque parcelle du monde disent ça : Il y a bien quelque-chose ; là-bas, au-delà.

    Et j'ai hanté des places, des esprits et des cœurs, alors que du sien je n'étais plus qu'absent.

     

    C'est seulement des années plus tard que je suis revenu.

    Je n'étais toujours pas libre, je ne pouvais pas m'en aller, vraiment.

    Pas sans essayer, une dernière fois, d'apercevoir ses grands yeux noirs.

    Je me suis assis face à la pierre.

    J'ai observé les passants, rares, en ce jour gris et pluvieux.

    Et j'ai guetté, le moindre signe d'elle.

    C'est seulement au bout de quelques minutes, que j'ai remarqué, sur la pierre, une unique fleur, posée là.

    Elle devait avoir subi bien des caprices du temps, mais malgré tout, elle subsistait.

    C'était un beau lys blanc. Sa préférée...

    J'ai senti mes paupières se gonfler, le naufrage grondait sous la voilure de mes cils.

    Flou, mon regard s'est posé sur le petit muret aux pierres fissurées par les intempéries, ou par l'usure du temps.

    Sous les vagues est apparu un enfant, pas plus haut que ça, qui portait dans ses bras un grand bouquet de lys blancs.

    Dans sa main, une autre main. C'était ma douce fille qui s'en venait m'embrasser... Enfin!

    Elle s'est agenouillée, comme avant, tranquille, face à la pierre.

    Elle a assis l'enfant sur ses genoux, et tendrement, soufflant à son oreille :

    "Tristan, ici repose ton Grand-père. C'est son nom que tu portes.

    C'était un très bel homme, très tendre. Mais il ne parlait pas assez.

    On n'a jamais su qu'il partirait ainsi..."

    Elle essuya une larme, qui perlait au coin de ses yeux.

    "Il t'aurait adoré, j'en suis sûre. Et moi... Je l'aimais."

     

    J'ai senti la pierre, celle qui obstruait mon cœur depuis tant d'années, se fissurer soudain, et éclater enfin.

    J'ai tendu la main vers sa joue, que tendrement, j'ai effleurée.

    Elle frissonna alors, et comme si elle avait pu me voir, ses grands yeux noirs s'écarquillèrent, pleins d'une émotion que j'y avais rarement lu.

    Ou que j'avais refusé de lire... peut - être.

    J'ai vu ses lèvres trembler, et former un unique mot, le souffle, le "sésame" de ma libération... "Papa...».

     

     

    ***

     

    Lully. ©



    votre commentaire
  • Née d'un délire avec un ami proche, le même encore, cette nouvelle comme l'indique son titre, traite une fois de plus de la paranoïa, poussée à son paroxysme, quand même les objets semblent n'être là que pour nous persécuter. Quand enfin, tout espoir de raison semble perdu et  laisse là, maîtresse en son antre, la Folie.

    Paranoïa ... C.I.A  A.U.R.E.L.I.E ... – The Next Invasion.

     

    Voilà...Ce devait être, humm, samedi soir...Je marchais en ville, sans but précis, il était deux heures du matin passées, et je tournais en rond dans l'attente d'un coup de fil...

    En effet, je devais rejoindre un ami, mais celui-ci, toujours égal à lui-même et n'ayant aucune notion du temps, s'était éparpillé au vent, aux gens...

    Bref, j'errais donc, mais cette errance ne m'était pas désagréable, il faisait encore assez doux malgré les bourrasques du vent, et mes excès de la veille me tenaient encore chaud.

    C'était bien de se laisser aller à ses pensées, mais j'étais partagée entre le bien-être et l'angoisse, tout à la fois, comme deux cordons disparates mais pourtant entrelacés, par-delà la compréhension...

    Mais bref, j'élucubre, venons en aux faits.

    J'arrivais Place du Vieux Marché, et j'étais franchement surprise de trouver la ville aussi morte, surtout en pareille place, un soir comme celui-là.

    Je commençais de plus à manquer cruellement de ma dose de nicotine, et j'espérais bien croiser une âme charitable! J'aperçus alors deux silhouettes qui avançaient vers moi.  L'un deux marchait à côté de son vélo, et de loin, ma myopie n’arrangeant rien, il me sembla que c'était l'ami que j'attendais... Ce n'était pas lui, mais il s'avéra que je connaissais l'un des deux jeunes hommes. Nous avons donc commencé à discuter, et cette discussion n'était guère passionnante, pourtant je leur emboitais le pas, me sentant bien, intriguée aussi, quelque part, par leur présence.

    Antoine me posait des questions banales, sur ma soirée et ma présence actuelle , seule dans la rue, et semblait intéressé, et agréablement surpris de la teneur de mes propos...Son acolyte lui, participait peu à la conversation, traînant son vélo à sa suite, s'arrêtant de manière sporadique face à des panneaux routiers et autres poteaux pour y coller des tracts, qui d'ailleurs, je m'en rappelle à présent, me semblèrent obscurs, de par le fait que rien de ce qui y apparaissait ne permettait de discerner ce vers quoi ils menaient...  « Next Invasion »...c'était l'entête, et même le seul et unique texte apparent ...Le graphisme et les couleurs m'évoquaient les flyers pour concerts de rap ou de techno, cependant, il ne faisait mention nulle part de date, de groupe, pas le moindre numéro de téléphone comme on en trouve pour les raves...non non, vraiment rien, à part l'intriguant "Next Invasion" !

    C'est étonnant de constater comme ces tracts ont finalement attisée ma curiosité, et comme elle l'est, plus encore à présent...

    Je me souviens avoir demandé à ce jeune homme dont je ne connais pas le nom, pour quel évènement, ou concept, il oeuvrait en les collant à chaque coin de rue, et celui-ci ne m'a pas répondu. Il s'est contenté de se tourner vers moi, en me tendant l'un deux...

    Pendant cette petite marche, qui finalement se déroula en très peu de temps, l'espace de dix minutes, peut-être moins, je continuais à parler de tout et de rien avec Antoine. Nous passions du coq à l'âne, survolions les sujets, et peu avant le moment de se séparer, parlant de mon mode de vie, nous en vînmes à disserter à propos du système, de la politique, du conformisme et de l'anticonformisme...Constatant , sans trop de difficultés, que j'étais plutôt une marginale, à l'écart de la société, il me fit la remarque suivante : "Un jour où l'autre, la C.I.A viendra sonner à ta porte!! Tu seras accusée d'être une anti-consommatrice, qui vit hors des principes de la société, au-delà de l'argent, qu'on ne voit que la nuit, marchant et vibrant au fil des instants!! Je suis sûr qu'ils te surveillent déjà! Fais gaffe Aurèle!». Nous nous sommes séparés au croisement d'une rue, sur cet entrefaite, riant de cette idée...

    Mais sur le chemin inverse, tout en souriant, je ne pouvais m'empêcher de ressasser ses paroles, et machinalement, je triturais quelque chose dans ma poche...

    M'intéressant alors à son contenu, je découvrais le fameux  et mystérieux tract autocollant intitulé "Next invasion". Je m'interrogeais un instant, m'arrêtant face à un lampadaire, sur le fait d'aider l'acolyte cycliste dans sa distribution, mais j'en éprouvais quelque part une certaine réticence, motivée par l’idée que ces bouts de papier d'apparence insignifiante auraient pu prôner des préceptes contraires aux miens... Et pourtant, je détachais alors, presque impulsivement, l'opercule et apposais l'adhésif sur la paroi du réverbère...

    Puis je suis repartie, et n'ai plus pensé à tout ça...

    Aujourd'hui, je m'interroge...

    Je me demande si je suis en train de sombrer dans la paranoïa la plus totale ou si quelque part, ces sociétés futuristes et chaotiques où nous serions tous surveillés, où le grand Big Brother aurait une main-mise sur tous nos actes, nos pensées même les plus intimes, ces notions envisagées par des écrivains visionnaires et forcément névrosés, ne seraient pas réelles?!

    En effet, je n'ai pas dormi, oh non, pas dormi depuis des jours, ou seulement quelques heures par-ci par-là, si peu...Et d'autant moins depuis que j'ai déposé ce tract! Comme si sans le savoir je m'étais jointe à une conspiration, comme si cet acte à l'aspect anodin avait déclenché pour de bon une machine déjà en marche qui était jusqu'alors restée en retrait, retirée dans l'ombre, à m'épier et attendre son heure au moindre coin de rue...

    En effet, aujourd'hui, le téléphone n'a eu de cesse de sonner, des appels étranges, sans queue ni tête, de sociétés inconnues qui ne voulaient pas me joindre moi et qui raccrochaient si vite...

    Et puis, même l'ordinateur semble être un ennemi étrange à présent!!

    Je discutais avec un ami, et tout d'un coup il n'a plus semblé lui-même!!D'ailleurs, ce n'était plus lui, c'est sûr!!!

    L’écran s'est mis à débiter des phrases incohérentes, et toujours, les mêmes initiales qui se suivaient, comme une spirale envoûtante et infernale : "c.i.a  a.u.r.e.l.i.e c.i.a  a.u.r.e.l.i.e  c.i.a  a.u.r.e.l.i.e... ".

    Cette litanie me possède, c'est elle qui me pousse à écrire...J'ai encore assez de lucidité pour réaliser que leur pouvoir est immense, qu'ils ont les moyens de me pousser à avouer ce qu'ils veulent savoir sans même que je m'en rende compte, quand bien même j'ai l'impression de n'avoir rien à cacher! Ils diffusent des messages subliminaux, pénètrent nos cerveaux...Comment Irrémédiablement Aspirer toute volonté de nos pauvres esprits dérangés? C’est Ici, Avec nous, parmi nous, en nous observant, qu'ils nous formatent ainsi qu'ils le désirent...Ils se fondent dans la nature. Ce sont nos collègues de travail, Cet Irritant Arriviste qui nous sert de patron, le barman sympathique qui nous offre sa tournée, les passagers du bus...! Cette Insupportable Apathie qui nous prend soudainement, et nous laisse un goût poussiéreux sur le palais, vides de désirs...

    Je dois arrêter d'écrire...je suis en train de me vendre à eux...Je ne veux pas devenir cette machine cybernétique qu'ils me croient déjà être...Je veux rester maîtresse de mes pensées et de mon savoir! Je veux pouvoir ne pas me conformer! Je suis un être libre!!!

    Mais je sens le soir qui tombe, et l'angoisse se saisit de moi...Car Ils Avancent Alentours ; Uniformes ; Rôdant ;  Eux Les Intolérables Emissaires d'un système tyrannique!!

    Je barricade les portes, les fenêtres, le moindre interstice...même la Cheminée, Issue Avantageuse pour un traquenard...! Non, ils ne m'auront pas!

    ...Mais ...

    Et...s'ils venaient cette nuit?...

     

    ***

     

    Lully. ©



    votre commentaire
  • Vous aussi, j'en suis sûre, vous l'avez rencontré déjà, au moins une fois.
    Il existe dans tout cercle, admiré, illuminant les soirées de sa présence.

     

    A lire avec ... - Yann Tiersen - La chute - ...


    L'homme-Paon

     

    Le voilà. Il entre dans la pièce.

    Les gens discutent, papillonnent... les verres s'entrechoquent au milieu de rires, dans le brouhaha des discussions croisées et de la musique. La fumée de cigarette a envahi les lieux, plongeant ses occupants dans une sorte de brouillard irréel.

    Il entre, donc. Et comme par enchantement, tout s'arrête.

    Le temps semble se figer. Tous les regards se tournent vers lui, tandis qu'il avance, de sa démarche nonchalente, un sourire conquérant aux lèvres.

    Un à un, il nous salue, nous embrasse, une main négligemment posée sur l'épaule. L'air de rien, il nous frôle, sans jamais se départir de son flegme.

    Peu à peu, comme si de rien n'était, les conversations reprennent, l'ambiance festive bat son plein, de nouveau. L'Homme-Paon a fait le tour de sa cour, et déja, les quelques secondes ayant marqué son arrivée sont oubliées, comme si jamais le temps n'avait été suspendu.

    Un martini à la main, je m'esclaffe à une plaisanterie du comique de la soirée, qui semble rassuré d'avoir pu réintégrer son rôle de "pôle attractif" ; non sans jeter un coup d'oeil vers le retardataire tant espéré.

    Celui-ci est assis en belle compagnie, comme il se doit, mais malgré le sourire bienveillant d'un châtelain attentif à sa suite, son esprit semble absorbé dans de toutes autres contemplations.

    Sans avoir le temps de détourner les yeux, son regard croise soudain le mien. Un instant, il me semble déceler dans le sourire qu'il m'adresse, comme un remerciement. Un secret partagé quelques fractions de seconde : au-delà de cette armure sans faille apparente, se dissimule un être simple et même un peu timide, qui s'ennuie des faux-semblants.

    Légèrement bouleversée par cette brève intimité, je m'eclipse discrètement vers la chaîne et me mets en quête d'un peu de musique. Je passe en revue différents albums, et opte finalement pour un "Floyd" première époque, avec le sieur "Barrett" au chant. Alors que je m'apprête à reposer le boîtier après avoir glissé le disque dans le lecteur, une main me frôle et me le prend doucement. Sa main...

    "Très bon choix. Ca fait longtemps que je ne l'ai pas écouté." Avec un sourire, il me tend la pochette du CD, puis reste là, immobile, à me regarder, les mains dans les poches.

    Un peu mal à l'aise, je fais le geste de lui montrer mon verre vide : "Jevais me chercher une bière... Tu en veux une? ".

    " Volontiers.".

    Il m'emboîte le pas jusqu'à la cuisine, dissimulant à peine son amusement devant mon air décontenancé.

    Galant, comme se doit de l'être cet Homme-Paon dans sa pavane, son armure réajustée, il m'ôte des mains les deux bouteilles fraîchement sorties du frigidaire, puis m'en offre une, une fois décapsulée.

    Nous trinquons silencieusement, mes yeux plongés dans les siens.

    Je me sens soudain idiote de cette emprise sous laquelle il me tient, et laisse échapper un léger rire.

    "Qu'est ce qui te fait rire?", me demande-t'il, intrigué.

    "Rien... Les silences me mettent mal à l'aise."

    Je souris, avant d'avaler une longue gorgée de bière glacée, à même le goulot.

    Naturellement, enfin, nous nous mettons à discuter.

    Je lui parle de mon univers, la musique, l'écriture... et de mon désir d'en faire ma vie. Lui n'entend rien aux arts, du moins à leur pratique, mais il est un "contemplatif", c'est ce qu'il dit.

    Il aimerait d'ailleurs beaucoup me lire, ou m'entendre jouer.

    "Et bien, les deux sont possibles! ; lui dis-je ; demain soir je donne un concert, dans une petite salle, et comme mes morceaux sont liés à certains de mes textes, ils seront entrecoupés de lecture."

    Je fouille dans mon sac à la recherche d'un carton d'invitation, que je lui tend.

    "Viens me voir, ça me ferait plaisir. "

    "Je viendrai." .

    Alors que je baisse la tête vers mon sac afin de le refermer, sa main glisse soudain à l'intérieur de mes cheveux, venant saisir ma nuque. Je relève les yeux vers lui, le regarde un instant, et l'embrasse.

    Notre baiser fait naitre en moi des sensations électriques. Il semble qu'une multitude de papillons miniatures s'en viennent effleurer ma colonne vertébrale de leurs membranes aériennes...

    La porte de la cuisine s'ouvre brusquement et quelques personnes font irruption dans la pièce. Ils ne prêtent pas attention à nous, mais la magie est brisée.

    Je lui souris, caresse sa joue du bout des doigts, et sors.

     

    ...

     

    Mes mains s'enfuient sur les touches du piano, dansantes et survoltées, laissant s'échapper des notes allègres et graves à la fois, qui s'en vont se répercuter contre chaque pan de mur alentours, avant de me revenir, sveltes et légères comme les pas d'une fée.

    La voix de Jeanne s'élève de nouveau à mes côtés, psalmodiant mes mots, tandis que j'amorce les arpèges illustrant l'entrée triomphale de "L'Homme-Paon".

    Il s'avance et se révèle aux yeux du public au rythme des cordes martelées par mes doigts enragés.

    Une porte grince au fond de la salle, au moment même où ma lectrice et moi offront à mon idolâtre héros le silence dû à son arrivée...

    Mes yeux se perdent malgré moi en direction de cette porte, par laquelle entre enfin mon invité retardataire, mon invité tant espéré...

    Le public conquis, qui s'est lui aussi retourné dans un élan d'une étrange émulation, voit alors se matérialiser sous ses yeux un personnage devenu réalité.

    Le temps semble se figer, tandis qu'il avance, de sa démarche nonchalente, un sourire légèrement amusé aux lèvres.

    Durant quelques infimes secondes, la salle entière semble subjuguée par sa seule présence, suspendue à ses pas...

    Peu à peu, comme si de rien n'était, le concert reprend son cours. Les spectateurs attentifs s'accrochent de nouveau à mes notes qui s'élevent, d'abord lentes et saccadées - mon regard perdu dans le sien - puis s'envolent -multitude de papillons miniatures aux membranes aériennes - pour ne plus retomber ; jamais.

    ...

    - Tonnerre d'aplaudissements -

    ...

    L'Homme-Paon a fait de moi une reine, cette nuit.

     

    ***

     

    Lully. ©



    votre commentaire